Le Ruban Blanc : La Campagne Prussienne à La Veille De 1914
Commentaire d'oeuvre : Le Ruban Blanc : La Campagne Prussienne à La Veille De 1914. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Duracelle57 • 13 Novembre 2014 • Commentaire d'oeuvre • 2 818 Mots (12 Pages) • 701 Vues
Le Ruban blanc (Das weiße Band) est un film franco-germano-italo-autrichien de Michael Haneke sorti le 21 octobre 2009 en France. Le film a obtenu la Palme d'or lors du Festival de Cannes 2009. En cette quinzaine du festival, les chaînes télé nous gratifient de quelques chefs-d’œuvre.
"Le blanc est la couleur de l’innocence" dit le pasteur. Le ruban blanc est un morceau de tissu dont on affuble un enfant qui a fauté jusqu’à ce qu’on juge qu’il s’est "purifié". C’est un signe d’ostracisme, comme une étoile jaune ou rose. C’est dans cet univers de persécution quotidienne que vivent les enfants de ce village de la Prusse luthérienne, en 1913. Ce village est une "communauté" dit le baron qui la dirige. C’est en effet une petite seigneurie comme il y en a des milliers d’autres dans cette "Vieille Prusse" où le souvenir de Frédéric II est vivace.
Un plan-séquence dit magistralement l’organisation sociale de cette communauté. La demeure du baron est une haute bâtisse symétrique, l’axe passe par la porte d’entrée qui se trouve au sommet d’un escalier de pierre monumental. Le plan montre la masse des paysans rassemblés au bas de l’escalier et qui occupent toute la largeur de l’image, puis l’escalier monte en rétrécissant jusqu’à la porte devant laquelle se trouvent le pasteur, légèrement en retrait, le baron et son épouse. Au-dessus d’eux, la façade élevée. Le point central de l’image est la personne du baron. Tout concoure à mener les yeux du spectateur vers lui, vers le sommet de cette pyramide sociale. En 1913, les domestiques saluent sa seigneurie en effectuant une légère génuflexion et en disant "bonsoir, Mr le baron". De sa hauteur, le baron s’adresse à ses paysans -c’est la fin des moissons- en disant "Dieu s’est montré généreux avec nous". Théisme. Le pasteur y va de son psaume.
D’autres métiers participent de la vie collective : précepteur et nurse pour les enfants du baron, le régisseur du domaine, le médecin et la sage-femme qui vit chez ce dernier, l’instituteur… La masse des paysans et tout ce petit monde vit sous la férule du pasteur qui se désigne lui-même comme "guide spirituel".
C’est peu dire que l’autorité est le maître-mot de l’éducation subie. Haneke insiste sur l’obéissance des enfants : scène chez le pasteur dont tous les enfants obéissent au doigt et à l’œil, scène chez le régisseur avec ses trois garçons qui se tiennent au garde-à-vous, scène chez le père d’Eva -la nurse que l’instituteur est venu demander en mariage- où tous les enfants totalement muets, se lèvent comme un seul homme quand le père l’exige. Ces séquences sont d’autant plus lourdes, pesantes qu’elles se déroulent sans musique. C’est le silence complet. D’ailleurs, il n’y a pas de compositeur signalé sur la fiche technique du film. Noter que la musique est présente mais elle est intégrée au scénario : au pays de Luther on « fait » de la musique. C’est le cas de la baronne qui tente d’interpréter Schubert avec le précepteur, c’est le cas de l’instituteur qui joue du piano pour consoler Eva qui vient d’être licenciée par le baron ; ou alors on chante au temple pour l’office. Mais par ailleurs, pas de musique de film. Avec un film en noir et blanc cela complète une austérité toute protestante. Faut-il penser à une ironie de Haneke quand il fait dire que "le blanc est la couleur de l’innocence" alors que tout le monde -ou presque- est vêtu de noir ?
Les détenteurs de l’autorité infligent des interrogatoires épouvantables à ceux dont ils pensent qu’ils ont des choses à dire. Alors qu’ils n’ont peut être rien à dire. C’est d’abord le pasteur qui inflige à son fils Martin (admirable petit Leonard Proxauf, tout à la fois mignon et renfrogné) une persécution psychologique pour lui faire avouer qu’il se masturbe. Oh ! le mot n’est pas prononcé ! Dieu l’en garde ! Mais le pasteur parle des "tentations de ta jeune chair" et, en Prusse luthérienne de 1913, la masturbation ne rend pas sourd, non, c’est bien pire. "J’ai connu un garçon de ton âge qui, après six mois, ne dormait plus, n’avait plus de mémoire, eut le corps couvert d’abcès ce qui le conduisit à la mort ! ". Pauvre Martin, mais son pasteur de père lui déclare qu’il voit des symptômes : "tu es triste, tu déprimes, ton regard devient fuyant…". Avec un père pareil, tout enfant normalement constitué présenterait les mêmes symptômes, même sans masturbation. Et d’insister "je me fais du souci à cause de toi, et je pense que tu sais pourquoi, mais tu ne veux pas me le dire". Procès d’intention. Et l’Ecriture vient assommer le jeune garçon : "la loi divine a érigé des barrières sacrées !". Martin dorénavant dormira avec les bras attachés, au dessus des couvertures bien entendu, par des sangles que ses frères fixeront avec interdiction pour eux de les défaire. Lorsque le feu brûle une immense grange toute proche, Martin veut alerter la maison, il demande à ses frères de le détacher, "mais on n’a pas le droit, Père l’a défendu !". Autre interrogatoire serré : celui que subit la petite Erna. Cette fillette avait fait part de pressentiments à l’instituteur concernant le petit Karli, handicapé mental, lequel est effectivement victime de sévices brutaux quelque temps plus tard mais on ne connaît pas le ou les coupable(s). La police enquête et Erna est violentée verbalement de façon odieuse compte tenu de son âge. Le policier prononce ces paroles que d’autres films mettront dans la bouche d’autres bourreaux, mais dans le même pays, "j’ai d’autres moyens pour te tirer les vers du nez"…L’instituteur de façon moins brutale mène aussi un interrogatoire sur Martin et Clara. Enfin, le baron demande à sa femme qui lui déclare qu’elle a rencontré un autre homme si elle a couché avec lui. La baronne dit que non. Le baron refuse de croire la baronne : tout le monde attend la réponse qu’il veut entendre mais n’écoute pas la réponse qui ne lui convient pas. Tout cela contribue à rendre l’atmosphère difficilement respirable.
Le pasteur (prestation remarquable de B. Klausner plus vrai que nature, dogme incarné) est bien loin de connaitre la réussite dans l’éducation de ses nombreux enfants. Au début du film, Martin et Clara sont sanctionnés, ils porteront le ruban blanc, tous -punition collective- iront dormir sans manger, et Martin et Clara recevront dix coups de verge. "Je vais mal dormir à cause de vous" dit le pasteur.
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