Discours de Patrice Lumumba

Par sa cruauté et sa violence la Seconde Guerre Mondiale a ruinée la prétendue supériorité de la civilisation européenne aux yeux des peuples colonisés. Par leur participation aux combat, par leurs sacrifices faits au nom de la métropole, ce conflit servit de base aux aspirations indépendantistes de ces derniers, cela a apporté légitimité et crédibilité à leur discours. Les positions anti-colonialistes des deux grandes puissances qui dominent et divisent le monde de l'après guerre, les USA et l'URSS, représentèrent un soutien majeur et rendirent leurs rêves d'indépendance accessibles. Partout les peuples se soulèvent et défendent leur droit à disposer d’eux-mêmes, formule célèbre associé au Président américain Woodrow Wilson en 1918. Les empires coloniaux s’effritent alors au gré d'une vague de décolonisation qui n'épargne aucun d'entre eux et qui rythmèrent les premières années de l'après guerre : Inde et Pakistan en 1947, Indochine en 1954, Maroc et Tunisie en 1956, Ghana en 1957, Guinée en 1958...Ces indépendances sont le résultat de mouvements portés et incarnés par des leaders charismatiques, qui grâce à leur intelligence et leur leadership réussissent à fédérer, ou en tout cas à concilier, autour de la cause indépendantiste. Au Congo belge ce leader se nomma Patrice Lumumba, il est le principal artisan de l'émergence d'une identité et d'une conscience congolaise, alors que le territoire congolais est traditionnellement divisé entre un grand nombre d'ethnies. Né le 2 juillet 1925 à Onalua, Patrice Lumumba se distingue très tôt par une grand curiosité et un éveil intellectuel profond. Alors que l'éducation au Congo est fortement empreinte des idées religieuses puisque ce sont des missionnaires chrétiens qui ont la charge exclusive de l'enseignement, lui se passionne pour l'histoire puis pour la politique. Très tôt il s'engage dans les différentes associations tribales tolérées par le pouvoir colonial belge. Sur le plan professionnel il travailla dans ces entreprises minières privées qui exploitent à leur compte les grandes richesses congolaises. Il travailla aussi en tant que journaliste dans les deux grandes villes du pays : Léopoldville et Stanleyville. Il s'engage socialement pour le peuple indigène et appelle au développement économique et sociale du pays. Cet engagement se matérialise par la création de l'Association du Personnel Indigène de la colonie en 1955, ce qui lui donna une légitimité certaine, ça lui permit notamment de rencontrer le roi Baudoin, souverain de la Belgique et donc du Congo. Et le fait qu'il ait reçu en 1954 l'immatriculation de la part de l'administration belge montre qu'il se distingue par son intelligence et par un mode de vie approuvé par les autorités coloniales.

Si il défend le développement du Congo et l'amélioration des conditions de vie des congolais Lumumba n'en reste pas moins un modéré, favorable au système colonial belge qu'il souhaite simplement faire évoluer. On peut le qualifier alors de progressiste. Mais en 1956 il connut une première tension avec le pouvoir belge puisqu'il est envoyé en prison pour un an, pour un détournement de fond qui sera avéré. En prison il écrit et développe des idées libérales basées sur le développement d'une société mixte. L'année 1958 fut celle de la radicalisation des idées de Lumumba, l’événement déclencheur est l'exposition universelle de Bruxelles auquel il est invité, l'image paternaliste de la colonie qui est présentée au monde et celle d'un peuple congolais sous évolué le révolte. A son retour au Congo il se rapproche des mouvements anti-colonialiste et forme son parti : le MNR, Mouvement National Congolais. La particularité de ce mouvement est qu'il est unitaire, qu'il rejette le tribalisme. Rapidement l'indépendance est la priorité du MNR, cette revendication est vu comme une provocation par les autorités belges qui décident alors de l’arrêter. Mais les revendications indépendantistes se poursuivent, les indépendances en Afrique à la même période renforcent les convictions et les espoirs des nationalistes congolais. Après une répression d'une manifestation qui fera des dizaines de morts congolais le pouvoir belge semble percevoir que la voix de la décolonisation ne pourra être tu. Ils souhaitent alors que cette indépendance se fasse autour de leaders modérés, qu'ils pourrait contrôlés voire corrompre pour que leurs intérêts économiques prospèrent. Mais c'est le parti de Lumumba qui remporte les premières élections, ce qui va évidemment à l'encontre de leurs intérêts. La victoire à la présidence de la République du modéré Joseph Kasavubu les rassure malgré que Lumumba est alors premier ministre. L'indépendance est prévu pour le 30 juin 1960. Le texte que je vais étudier est le discours de Lumumba lors de la cérémonie officialisant l'indépendance du Congo qui se déroule à Léopoldville. Après les discours vantant le paternalisme délivrés par le Roi Baudoin et le Président Kasa-Vubu, Lumumba prend la parole sans que ce soit programmé. Il se livre alors à un brutal réquisitoire contre l'autorité colonial, il dénonce les abus et les violences commises par les Blancs durant toute l'histoire de la colonie. Il ne félicita aucunement le roi Baudoin d'avoir accordé l'indépendance, il ne s'adresse nullement aux Belges mais uniquement au peuple congolais. Dans la première phrase de notre extrait il met en avant la portée historique de l'instant et la fierté que se doivent de ressentir les congolais. De la ligne 5 à 13 il rappelle les douleurs et les sacrifices consubstantiels à une lutte de l'ampleur de la lutte pour l'indépendance. Puis jusqu’à la ligne 29 il dénonce la cruauté et la violence de la domination belge en énumérant les exactions commises. Enfin il se projette vers l'avenir dans les dernières lignes en appelant les Congolais à prendre en main leur destinée. Nous allons essayer de montrer comment ,en présentant l'indépendance congolaise comme un aboutissement, Patrice Lumumba nous permet-il de percevoir ce que fut la colonisation et la décolonisation du Congo. Nous analyserons d'abord cet aboutissement qu'est l'indépendance en étudiant l'éveil tardif d'une conscience congolaise puis la lutte pour l'indépendance porté et incarné par des leaders charismatiques. Dans une seconde grande partie nous montrerons que Lumumba fait dans ce discours un réel réquisitoire contre la puissance colonisatrice, d'abord en se concentrant sur le régime de terreur instauré par Léopold II, puis en montrant qu'il

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