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Le Nomadisme Californien

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Par   •  4 Janvier 2017  •  Chronologie  •  5 173 Mots (21 Pages)  •  745 Vues

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Los Angeles, 1980-? : Le nomadisme californien

Pour la neuvième fois - la dernière jusqu'à aujourd'hui -, l'Ordre marchand se réorganise autour d'un lieu, d'une culture et de ressources financières qui permettent à une classe créative de transformer une révolution technique en un marché commercial de masse. Pour la neuvième fois, cette mutation élargit l'espace de l'Ordre marchand et celui de la démocratie. Elle augmente encore le nombre des démocraties de marché.

Cette nouvelle forme, où nous sommes encore constitue le socle de l'Histoire en marche. Il faut donc la décrire un peu plus en détail que les huit autres.

C'est là, en Californie, dans cet État de la taille de; l'Italie, où vivent 35 millions de personnes, soit un Américain sur huit, de San Francisco à Los Angeles, d'Hollywood à la Silicon Valley que s'installe, vers 1980. le nouveau « cœur ». Ce n'est pas un lieu de hasard : c'est là qu'on découvrit jadis des mines d'or, là que démarrèrent l'industrie du pétrole et celle du cinéma; que les plus aventuriers des Américains se regroupèrent, que s'établit l'industrie de l'électronique et de l'aéronautique ; c'est là que se trouvent quelques-unes des meilleures universités, certains des plus grands centres de recherche, des meilleurs vignobles ; là que se sont rassemblés les talents de l'industrie de la distraction, les plus grands musiciens, puis les inventeurs de toutes les technologies de l'information. Là aussi, de la frontière mexicaine à la frontière canadienne, qu'une permanente menace de tremblement de terre suscite une vibration intense, unique, un fabuleux désir de vivre, et un goût du nouveau. .

Comme dans les précédentes crises de l'Ordre marchand, les technologies nécessaires à la neuvième forme marchande préexistent à leur usage : c'est parce que les activités de bureau des banques et des entreprises pèsent d'un poids de plus en plus lourd sur la productivité globale que l'automatisation de la manipulation de l'information devient un enjeu majeur. Apparaissent d'abord, dans les années 1920, des machines électriques à cartes perforées; puis, dans les années 1940, les premiers ordinateurs à usage militaire utilisent le transistor; en 1971, le microprocesseur voit le jour, héritier du transistor; il est mis sur le marché par une nouvelle entreprise, Intel, cofondé à ce moment par Cordon Moore : un minuscule carré de silicium sur lequel sont entassés des milliers, puis des millions, puis des milliards d'unités élémentaires de stockage et de traitement de l'information. Le microprocesseur permet de mettre au point l'ordinateur de série, héritier lui aussi d'une longue succession d'innovations, initiées au XVII siècle, en France, par Blaise Pascal.

À partir de 1973, l'ordinateur commence à remplacer dans les bureaux les machines électriques à cartes perforées et augmente massivement la productivité des services et de l'industrie. C'est le début de la « bureautique ».

De nouvelles entreprises, californiennes pour la plupart, permettent alors de réduire les coûts des services commerciaux et des administrations. Ces technologies rendent en particulier possible une industrialisation des services de la finance, permettant aux banques une exploitation automatique des moindres imperfections du marché, mettant en relation des millions de transactions, supprimant toutes limites à la croissance des instruments financiers et à celle des mécanismes de couverture de risques : la finance et l'assurance deviennent des industries.

Une nouvelle fois, c'est donc par l'industrialisation de services - ici financiers et administratifs - qu'un « cœur » prend le pouvoir. Une nouvelle fois, contrairement à ce qu'annonçaient les futurologues, il ne s'agit pas de l'avènement d'une société de services, d'une société postindustrielle, mais exactement du contraire : ce sont les débuts d'une industrialisation des services, visant à les transformer en nouveaux produits industriels.

Comme les autres antérieurement, cette révolution conduit à la mise sur le marché de nouveaux objets de consommation ; ils jouent, dans la nouvelle forme, le rôle joué par l'automobile et les équipements ménagers dans les deux formes précédentes : les objets nomades (expression que j'ai introduite en 1985, bien avant que ces objets n'apparaissent, et qui, depuis lors, s'est installée dans de nombreuses langues), machines miniaturisées capables de retenir, stocker, traiter, transmettre l'information - sons, images, données - à très grande vitesse.

Pourquoi « objets nomades » ? Les nomades transportent depuis toujours, on l'a vu, des objets susceptibles de les aider à vivre en voyage ; le premier fut sans doute une pierre taillée, un talisman, puis vinrent le feu, les vêtements, les chaussures, les outils, les armes, les bijoux, les reliques, les instruments de musique, les chevaux, les papyrus. Puis ce fut le livre, premier objet nomade produit en série ; ensuite des objets permettant de miniaturiser et de rendre portatifs des instruments sédentaires : montre, appareil photo, radio, électrophone, caméra, lecteur de cassettes. D'autres surgissent enfin pour traiter l'information.

En 1976, un nouveau venu, californien lui aussi, Steve Jobs, crée l'Apple 1, ordinateur individuel utilisable par tous, avec des interfaces simples. En 1979, des Japonais commercialisent le premier objet nomade ayant un nom quasi nomade : le Walkman, lecteur de cassettes inventé par un Allemand du nom d'Andréas Pavel.

Simultanément se développe le goût pour d'autres objets nomades, les animaux de compagnie de toutes espèces, qui offrent aux sédentaires l'occasion de vivre une vie de quasi-pasteurs, de simili-nomades, de simili-cavaliers accompagnés d'un simili-troupeau, sans aucun des risques associés au voyage, avec une compagnie fidèle et durable dans un océan de précarité et de déloyauté.

En 1981, alors qu'apparaît en France le Minitel, le géant américain de l'informatique industrielle, IBM, lance lui aussi son premier ordinateur portable, l'IBM 5150, sans trop y croire. La machine est dotée d'un microprocesseur d'Intel et d'un logiciel MS-DOS produit par une autre modeste entreprise de la côte ouest des États-Unis, Microsoft; elle pèse 12 kilos et est

32000 fois moins puissante et 12 fois plus chère que les moins sophistiqués des PC de 2006. C'est pourtant un triomphe : au lieu des 2 000 exemplaires prévus,

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