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L’Abbé Bournisien dans Madame Bovary

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Par   •  30 Septembre 2015  •  Cours  •  1 997 Mots (8 Pages)  •  978 Vues

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L’Abbé Bournisien dans Madame Bovary

Les Amis de Flaubert – Année 1968 – Bulletin n° 47, page 35

Le personnage de l’Abbé Bournisien dans Madame Bovary

Si l’on en croit son défenseur, Maître Senard, Flaubert n’aurait pas fait preuve d’anticléricalisme dans sa peinture de l’abbé Bournisien :

« L’ai-je représenté libertin, gourmand, ivrogne ? Je n’ai pas dit un mot de cela ». (1)

Libertin, il ne l’est, en effet, certainement pas, vu l’incrédulité, puis l’indignation avec laquelle il accueille les propos de M. Homais :

« J’en ai connu, des prêtres qui s’habillaient en bourgeois pour aller voir gigoter des danseuses.

— Allons donc ! fit le curé.

— (…) Parbleu ! ils en font bien d’autres ! exclama l’apothicaire.

— Monsieur !… reprit l’ecclésiastique avec des yeux si farouches, que le pharmacien en fut intimidé ». (2)

Qu’il fût gourmand, rien ne permettrait de l’affirmer ; quant à ivrogne, son refus du petit verre d’alcool que lui offre Madame Lefrançois nous montre qu’il ne l’est pas :

« Voulez-vous prendre quelque chose ? Un doigt de cassis, un verre de vin ?

L’ecclésiastique refusa fort civilement ». (3)

Flaubert, d’ailleurs, souligne dans sa correspondance que Bournisien « est très chaste et (qu’) il pratique tous ses devoirs » (4). C’est donc un honnête homme, un bon curé qui s’indigne lorsque, comme M. Bovary père, on se moque de la religion en parodiant le sacrement du baptême, qui accomplit sa tâche avec conscience, faisant réciter le catéchisme aux enfants, visitant les malades : il vient voir Hippolyte après son opération et, lors de la maladie nerveuse d’Emma, il se dérange tous les après-midi. Enfin, on peut conclure avec l’avocat de la défense :

« Ce n’est pas un ecclésiastique éminent, c’est un ecclésiastique ordinaire, un curé de campagne ». (5)

Et c’est en fait la plus grande accusation d’anticléricalisme que l’on puisse porter contre Flaubert. En effet, eût-il peint son curé ivrogne, débauché, que l’on eût pu croire à une exception ; au contraire, ce « brave homme », (6) ce curé si ordinaire devient le représentant de tous les curés. Or, le portrait qu’en trace Flaubert est, sous ses dehors inoffensifs, extrêmement négatif ; c’est donc tout le clergé qui, à travers Bournisien, se trouve décrié.

Thibaudet s’indigne devant le personnage de Bournisien ; il affirme que « Bournisien reste au-dessous du curé moyen ». (7) Mais l’art de Flaubert n’est-il pas de nous faire croire que ce « curé au-dessous de la moyenne » est justement le type du curé moyen ?

Thibaudet encore s’interroge :

« Un infirme d’esprit comme lui saurait-il faire un prêtre, un instituteur, un sous-officier ? » (8)

Mais, là encore, toute l’habileté de Flaubert consiste à faire passer ceci pour tout à fait normal. Il ne s’est pas formé de conspiration contre Bournisien dans le village, il ne semble aberrant à personne qu’il soit curé, il est tout à fait bien accepté dans sa charge. Seul Homals le critique, mais il n’a pas toujours le beau rôle ; de plus, il met moins en cause l’abbé Boumisien lui-même et la façon de remplir ses fonctions que la religion dans sa totalité. Enfin, Flaubert lui-même se garde bien de porter un jugement direct sur son personnage. Ainsi, lorsqu’il évoque, dans sa Correspondance, la scène où Emma, venant chercher près de Bournisien un réconfort moral, ne trouve en lui que des préoccupations matérielles, Flaubert écrit :

« Cela doit avoir 6 ou 7 pages au plus et sans une réflexion ni une analyse ». (9)

Il marque ainsi la volonté de s’effacer, de devenir simple miroir, simple reflet de la réalité. L’abbé Bournisien perd dès lors son caractère de personnage : on ne voit plus en lui la création littéraire mais un être bien vivant, non pas inventé, mais décrit.

Le lecteur alors est amené à tenir le raisonnement suivant : l’abbé Bournisien est bien un « infirme d’esprit » ; il est en même temps curé. Or, cela n’étonne personne, cela ne pose de problèmes à personne. C’est donc normal. Enfin, si cela est normal à Yonville, pourquoi ne le serait-ce pas dans tous les autres villages de France, puisque Bournisien est « un curé ordinaire ». De là à conclure que tous les curés sont des infirmes d’esprit, il n’y a pas très loin.

Examinons maintenant les reproches formulés par l’accusation. Nous avons vu que Bournisien n’était ni ivrogne, ni débauché, ni libertin, qu’il remplissait avec conscience ses fonctions. De quoi alors l’accuse-t-on ? D’être « à peu près matérialiste ». (10) L’accusation n’est guère sévère en utilisant cette réticence « à peu près ». En effet, dans la présentation même de Bournisien, Flaubert met l’accent sur l’homme, sur l’aspect physique dont il fait ressortir à dessein la robustesse. Ainsi, la première fois que nous voyons le curé, dans l’auberge de Madame Lefrançois :

« On distinguait, aux dernières lueurs du crépuscule, qu’il avait la figure rubiconde et le corps athlétique. » (11)

Cette force est soulignée par l’aubergiste :

« D’ailleurs, il en plierait quatre comme vous sur son genou. Il a, l’année dernière, aidé nos gens à rentrer la paille ; il en portait jusqu’à six bottes à la fois, tant il est fort ! » (12)

C’est sa vigueur encore qui est mise en relief lorsqu’il admoneste les gamins dans l’église :

« Les prenant par le collet de la veste, il les enlevait de terre et les reposait sur les pavés du chœur, fortement comme s’il eût voulu les y planter ». (13)

De plus, Flaubert nous le montre presque toujours dans les occupations les plus prosaïques : manger, boire, dormir, ronfler, se moucher, priser. Quand Emma vient le trouver, dans sa détresse, « il venait de dîner et respirait bruyamment » (14) et il lui raconte une plaisanterie qu’il a faite sur le nom d’un de ses élèves :

« Et moi, quelquefois, par plaisanterie, je l’appelle donc Riboudet (comme la côte que l’on prend pour

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