La Jeunesse Ivoirienne
Mémoire : La Jeunesse Ivoirienne. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar askim • 3 Mai 2014 • 819 Mots (4 Pages) • 736 Vues
La jeunesse ivoirienne
Cinéaste et anthropologue, je me suis intéressée, en novembre 1997, à un phénomène particulier de la criminalité en Côte-d’Ivoire, celui des ghettos, ainsi nommés par ceux qui occupent ces lieux. J’ai travaillé en milieu ouvert et fermé. Le travail en prison me permettait d’avancer plus vite, car j’avais accès rapidement à de nombreux ghettomen. L’enquête en ville, plus lente, me permettait de voir les lieux, de sentir les mouvements du ghetto, la nuit, le jour. Le but de cette enquête était un long-métrage, carte majeure entre mes mains qui intéressait vivement mes interlocuteurs. Etre le sujet d’un film qui allait les raconter, être en quelque sorte les nouveaux Wesley Snipes d’Abidjan, leur plaisait. Je serais arrivée en disant : « Je viens faire une thèse, un article, un documentaire », l’enthousiasme aurait été sans doute moins grand et je n’aurai pas bénéficié de la même manière des facilités et des protections qu’ils m’ont offertes.
Comprenant que, pour les ghettomen ivoiriens, l’essentiel était de sortir du darkness, une fois mon film Bronx Barbès fini, j’ai suivi leurs filières clandestines en Angleterre, en Espagne, en France. J’ai ainsi réalisé Les Oiseaux du ciel, qui sera sur les écrans courant 2005.
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Dans un pays où 60 % de la population ont moins de 20 ans, comment comprendre ce qui guide les nouvelles générations des zones urbaines, celles qui actuellement se manifestent par milliers quand il s’agit de piller sous la bannière des Jeunes Patriotes, et par petites centaines lorsqu’il faut répondre à l’appel de Blé Goudé, Général des Jeunes, chef des Patriotes, pour faire des sit in ou entourer de barrières le 43e Bima ? Sans oublier celles qui gardent le silence : une grande majorité qui se méfie et ne se reconnaît pas dans le spectacle offert par ses congénères.
Les analyses qui portent sur la Côte-d’Ivoire s’opèrent trop souvent à travers des logiques binaires : nord/sud, tradition/modernité, ville/campagne, musulmans/chrétiens, tribu/ démocratie… un système d’opposition qui empêche de comprendre la pratique sociale par principe labile, réversible. Que la géographie soit physique ou mentale, les concepts de « territoire », « identité », « parenté », « religion »… comme mode d’appartenance unique conduisent à la simplification et au grossissement. Un danger, quand les gens pensent n’avoir que ces catégories pour se désigner ; catégories auxquelles ils ajoutent éventuellement quelques caractéristiques, même si leur vie personnelle révèle une complexité qui infirme toute idée d’homogénéité ou de classement rigide. Seule la mise en relief de paradoxes et de contradictions peut éclairer les moteurs de l’action et de la pensée.
Les dernières crises qui ont traversé le pays ont eu des résultats désastreux sur les couches sociales déjà fragilisées. Dans « les quartiers », tout le monde vit à crédit — autrement dit, à l’intérieur d’une économie virtuelle qui fragilise le tissu social. Une économie de débrouille plus que de travail, consacrée par une expression : Ça va, je grouille toujours. Une autre dette, symbolique elle, pèse tout autant sur les comportements, la dette de vie
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