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Baudelaire — Les Fleurs du mal, Un voyage à Cythère

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Par   •  26 Octobre 2022  •  Commentaire de texte  •  1 797 Mots (8 Pages)  •  5 936 Vues

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Baudelaire — Les Fleurs du mai

Un voyage à Cythère

Mon coeur, comme un oiseau, voltigeait tout joyeux Et planait librement à l'entour des cordages ;

Le navire roulait sous un ciel sans nuages,

Comme un ange enivré d'un soleil radieux.

Quelle est cette île triste et noire ? - C'est Cythère, Nous dit-on, un pays fameux dans les chansons, Eldorado banal de tous les vieux garçons.

Regardez, après tout, c'est une pauvre terre.

- Ile des doux secrets et des fêtes du coeur ! De l'antique Vénus le superbe fantôme Au-dessus de tes mers plane comme un arôme, Et charge les esprits d'amour et de langueur.

Belle ile aux myrtes verts, pleine de fleurs écloses, Vénérée à jamais par toute nation,

Où les soupirs des coeurs en adoration

Roulent comme l'encens sur un jardin de roses

Ou le roucoulement éternel d'un ramier !

- Cythère n'était plus qu'un terrain des plus maigres, Un désert rocailleux troublé par des cris aigres. J'entrevoyais pourtant un objet singulier !

Ce n'était pas un temple aux ombres bocagères, Où la jeune prêtresse, amoureuse des fleurs, Allait, le corps brûlé de secrètes chaleurs, Entre-bâillant sa robe aux brises passagères ;

Niais voilà qu'en rasant la cite d'assez près

Pour troubler les oiseaux avec nos voiles blanches, Nous vîmes que c'était un gibet à trois branches, Du ciel se détachant en noir, comme un cyprès.

De féroces oiseaux perchés sur leur pâture Détruisaient avec rage un pendu déjà mûr, Chacun plantant, comme un outil, son bec impur Dans tous les coins saignants de cette pourriture ;

Les yeux étaient deux trous, et du ventre effondré Les intestins pesants lui coulaient sur les cuisses, Et ses bourreaux, gorgés de hideuses délices, L'avaient à coups de bec absolument châtré.

Contexte et éléments pour l'introduction

Le texte à commenter se compose des neuf premiers quatrains d'un poème des Fleurs du
Ma, intitulé 4c Un Voyage à Cythère », et qui en comporte quinze au total. Il se situe dans
la partie du recueil qui donne son nom à celui-ci < Les Fleurs du Mal e, et occupe ainsi

une place centrale dans l'économie générale de Vceuvre, puisque cette partie du recueil se
situe entre les trois premières parties, dans lesquelles le poète contemple le monde d'un
tantôt cynique, tantôt contemplatif - « Spleen
et Idéal », 4 Tableaux parisiens », « Le vin »

  • et les deux dernières - « Révolte » et « La Mort », beaucoup plus pessimistes encore -la partie intitulée « les Fleurs du Mal » apparaît donc comme une charnière, après laquelle le regard est définitivement transformé et ne peut trouver refuge que dans l'exploration du monde par la poésie, « au fond de l'infini pour trouver du nouveau » (il s'agit-là du dernier vers poème « Le Voyage », qui clôt l'ensemble du recueil)

Ce jeu de transformation progressive du regard se retrouve dans la structure même de l'extrait à commenter. Cythère est en effet une des îles dédiées à Aphrodite dans la mythologie grecque, et apparaît ainsi comme une source d'inspiration traditionnelle de la poésie amoureuse. Ce thème est pourtant violemment remanié par Baudelaire : si Von observe en effet la composition de l'extrait, après plusieurs strophes qui célèbrent la douceur et la beauté de Cythère telle qu'elle est fantasmée par la tradition poétique et par le poète lui-même, Baudelaire fait l'évocation d'un pendu qui s'y trouve (ce motif lui a été inspiré par Le Voyage en Orient de Nerval, qui raconte avoir vu un pendu sur Ille de Cythère), avec un lyrisme paradoxal de l'atroce Con pourra lire, en parallèle, le poème « Une Charogne », qui présente des descriptions similaires) qui contraste avec le lyrisme du beau qui se manifestait dans les premières strophes et invite à relire ces premières strophes, en les minorant peut-être, avec la conscience de l'horrible. Il faudra alors s'interroger sur le sens de ce brusque passage du beau a l'atroce : quelles visions du monde et de l'art poétique se jouent-elles ici ? A ce titre, il faudra opposer la beauté et la douceur de la version rêvée, fantasmée de Cythère, et le caractère atroce, qui se révèle peu à peu dans le poème avant de culminer avec la description du pendu, de la Cythère réelle, pour montrer comment Baudelaire met ici en scène le gouffre tragique qui oppose le rêve et la réalité.

Eléments pour le développement

NB : les éléments donnés ici ne sont volontairement pas composés en plan abouti pour un commentaire ; ils ne font que mettre en lumière les éléments à commenter : il vous revient de hiérarchiser ces éléments en fonction de votre propre lecture du texte.

I. Un récit de voyage, et de voyage intérieur

  • Le poème se présente au premier abord comme un récit de voyage : commenter en ce sens le titre, ainsi que la première strophe, qui fonctionne ici comme une strophe d'exposition, présentant le poète naviguant. La dimension intérieure du voyage est désignée d'emblée, avec la personnification du « coeur » du poète, et sa métaphorisation en oiseau joyeux jouant dans les cordages du navire. Des lieux communs de la littérature de voyage sont mis en place : « ciel sans nuages », « soleil radieux ». Cette première strophe offre le spectacle d'un monde d'harmonie - commenter à ce titre la métaphore de l'ange au quatrième vers. Elle forme une strophe d'exposition dans laquelle règne un registre euphorique : elle installe le lecteur dans un climat de paix et d'harmonie que les images violentes de la suite briseront d'autant plus violemment.
  • Commenter la référence à Cythère, île de Vénus traditionnellement célébrée par les poètes comme un lieu de beauté mythique, ainsi que la manière dont l'approche de cette île se fait : son nom est d'abord tu au profit d'une description fantasmée, puis vient une question sur son identité, qui donne lieu a une célébration, puis vient la vision du pendu :

le regard se déplace d'une manière très étudiée, alternant entre le fantasme et la vision du réel.

  • Le poème se fait, d'autre part, polyphonique : le recours aux tirets met en place un discours direct, un dialogue entre plusieurs personnages, indéterminés (leur nombre est notamment impossible à définir) ou plutôt, un dialogue du poète avec lui -même, autre signe de reconnaissance du voyage intérieur.

II. Du beau à l'atroce

  • La polyphonie de la conversation évoquée en première partie permet un glissement progressif du beau à l'atroce, une voix finissant par l'emporter sur l'autre ou sur les autres. Commenter la progression de la place que prend cette voix : d'une simple question au départ (< quelle est cette île triste et noire »), on passe à un passage plus long et plus descriptif (< - Cythère n'était plus qu'un terrain des plus maigres, / Un désert rocailleux troublé par des cris aigres. »), pour voir enfin cette voix, ramassée dans un « nous » qui mélange toutes les instances de l'énonciation qui étaient auparavant séparées, prendre toute la place dans les trois dernières strophes, celles consacrées à la description du gibet et du pendu.
  • Commenter les troisième et quatrième strophes, qui présentent la beauté de Cythère fantasmée : le poète met en oeuvre une langue évocatoire (remarquer par exemple la discrète allitération en « r», qui rappelle les < r » contenus dans les mots « fleur » et « arôme », ces deux motifs structurant l'ensemble de la description), et fait appel aux éléments traditionnellement présents dans les descriptions poétiques des lieux idéaux (on retrouve ici un avatar de la tradition poétique du locus amoenus, du lieu idyllique), en lien avec une évocation discrète du thème amoureux : < jardins de roses », « roucoulement éternel d'un ramier », etc. La présence de V « encens » ajoute à l'île une dimension sacrée.
  • Observer enfin les strophes suivantes, introduites par le vers « - Cythère n'était plus qu'un terrain des plus maigres » : la transition du beau vers L'atroce est brusque, et prise en charge par un simple changement cl'érionciateur. Apparaît alors une esthétique du contraste : relever ainsi l'image de la prêtresse, érotisée, qui concentre tous les attributs traditionnels de Vile de Cythère : beauté de la nature, présence du sacré, érotisme, et mettre en évidence le contraste que cette image forme avec l'image qui la suit immédiatement, celle du gibet.

III. Du rêve à la réalité : le tragique de l'existence et de la poésie

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