Léonard De Vinci
Compte Rendu : Léonard De Vinci. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar • 22 Mai 2015 • 3 549 Mots (15 Pages) • 1 460 Vues
Si l'on devait résumer toute la Renaissance d'un seul mot, il suffirait de dire: Léonard. Natif de Vinci, petit village tranquille posé sur un coteau entre Florence et Pistoia. Un homme simple, gaucher, végétarien, homosexuel, admis au statut de génie universel à la faveur d'une ?uvre proprement ahurissante qui préfigure notre civilisation moderne. Une université porte son nom en région parisienne, une entreprise de travaux publics célèbre a changé de raison sociale pour s'identifier à lui, une agence de travail temporaire lui a emprunté son enseigne, une grande marque automobile le met en scène pour sa publicité, sans compter les innombrables instituts de recherche ou fabricants de peinture qui se réclament du maître. Rarement prénom - libre de droits! - aura tant fait florès.
Léonard, la peinture, le corps
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Cliquez sur l'image pour voir le reportage. Commentaires de l'historien Jérémie Koering
Car il ne s'est pas contenté d'être l'esprit le plus brillant, le plus complet de son temps, ni d'avoir peint la toile la plus célèbre du monde, ni encore d'avoir couvert des milliers de pages de planches anatomiques, de mécanismes aux multiples usages, d'ouvrages d'art, de machines de guerre, de figures géométriques savantes, d'esquisses admirables, de visages d'ange, de maximes philosophiques. Il a surtout conçu, imaginé, pensé en toute liberté et touché à tous les domaines de l'aventure humaine. Un mélange unique d'Aristote, de Jules Verne et de Philippe Starck. Un monument, en somme, une personnalité hors du commun comme on en rencontre une fois par millénaire. Dans sa grande fresque L'Ecole d'Athènes, au Vatican, Raphaël lui-même n'a-t-il pas donné au grand Platon les traits du beau Léonard?
Du cerveau incroyablement créatif de Vinci est sortie notre époque. Non pas la fée électricité, les antibiotiques et les satellites, mais le principe même du progrès des connaissances et la ferme volonté de les voir se concrétiser. Sans que, jamais, la part d'humanité s'efface devant la froideur de la science. Pour comprendre aujourd'hui Léonard de Vinci, il faudrait imaginer un Nobel de physique peignant une toile immortelle. Ou un artiste peintre dessinant les prothèses de la prochaine génération. Bref, une forme d'universalisme devenue presque impossible. C'est pourquoi, de son vivant même, Léonard est entré dans la légende et continue d'incarner, près de cinq siècles après sa mort, le rêve de l'intelligence parfaite. L'idée est donc bienvenue de lui consacrer une exposition, comme le font simultanément le musée du Louvre, du 9 mai au 14 juillet prochains, et la Queen's Gallery de Buckingham Palace, du 9 mai au 9 novembre. A Paris, ce sont 85 dessins du maître et 47 de ses élèves ou suiveurs et 12 manuscrits exceptionnels qui seront offerts au regard du public; à Londres, 77 autres dessins provenant de la Collection royale pourront être admirés. L'année 2003 sera l'année Vinci. Autant se rafraîchir la mémoire.
Ce ne sont ni sa naissance ni son milieu familial qui prédisposent Léonard à un destin exceptionnel. Mais les astres se sont curieusement donné rendez-vous. Il voit le jour le 15 avril 1452, soit la même année que Savonarole, un intégriste chrétien, dirait-on de nos jours, qui dressera bûcher sur bûcher à Florence avant de finir lui-même sur l'un d'entre eux. Christophe Colomb est né il y a un an à peine et Constantinople tombera aux mains des Turcs l'année d'après, événement qui marque, selon l'avis de nombreux historiens, la vraie fin du Moyen Age. Son père, le notaire ser Piero, a une aventure avec une certaine Caterina, qui n'est pas son épouse légitime. Léonard naîtra bâtard, ce qui ne simplifiera guère sa vie affective. Son meilleur biographe, Serge Bramly, auteur d'un remarquable Léonard de Vinci (J.-C. Lattès), réédité ces jours-ci, a trouvé dans ses écrits la trace de ce traumatisme premier. «L'homme qui accomplit le coït avec retenue et mépris, estime de manière fort peu scientifique Vinci, fait des enfants irritables et indignes de confiance; en revanche, si le coït se fait avec grand amour et grand désir des deux côtés, l'enfant sera de grande intelligence, et plein d'esprit, de vivacité, de grâce.» Cette liberté de ton, assez fréquente sous sa plume, rapproche étonnamment Léonard de notre siècle et fait de lui, évidemment, un des sujets de psychanalyse favoris de Sigmund Freud.
L'enfant verra peu sa mère, rapidement mariée à un autre homme, et vivra dans un univers masculin, entouré par son père, son beau-père, son oncle, son grand-père, et son père spirituel, Andrea del Verrocchio, artiste déjà célèbre, chez qui il est placé en apprentissage à Florence et auprès duquel il va passer plus de douze années. C'est chez Verrocchio, qui travaille pour les Médicis, première de toutes les grandes familles florentines, qu'il va tout acquérir au cours d'une formation alors des plus classiques: apprenti, compagnon, puis maître. L'atelier (bottega) de Verrocchio est un des lieux où tous les jeunes talents artistiques de Florence vont et viennent, le Pérugin et Botticelli parmi d'autres. On y fait de tout: on soude, on peint, on forge, on travaille le bois, les étoffes, on joue même de la musique et, discrètement, on se transmet des secrets d'anatomie. Sacré Quattrocento! Polyvalence artistique incroyablement fertile, qui va donner, un peu plus tard, Michel-Ange puis Raphaël. Dans le fouillis de la bottega, Léonard aiguise ses sens précoces, notamment en mettant au point des couleurs, vernis et enduits de son cru. Si bien qu'en 1472, à 20 ans à peine, il assiste son «patron» dans l'exécution de sa première grande peinture, Le Baptême du Christ. Il imagine un ange portant le vêtement du Christ, réalisation d'une légèreté et d'une transparence parfaites qui impressionne Verrocchio. Ce dernier décide de lui laisser la bride sur le cou, ce dont profite Vinci pour élaborer le premier des grands principes qui lui survivront, le relief, «l'âme même de la peinture», selon lui.
Voici le jeune homme propulsé vers le succès. Grisé un peu vite, il verse dans le dandysme, la séduction facile et se laisse aller, notamment à la grasse matinée. C'est un adepte du temps libre. Conscient de ses dons, il cultive volontiers la provocation, ce qui l'amène à se trouver des camarades de plus en plus marginaux. En 1476, il se voit accusé de sodomie et se retrouve devant les tribunaux. Sans doute a-t-il agacé quelque bourgeois ou jeune concurrent, car l'accusation, anonyme, n'apparaît guère fondée; elle se termine par un non-lieu. Mais les admirateurs de Léonard spéculeront abondamment, à titre posthume. Ainsi, Freud, encore lui, doutera fortement que Vinci «ait jamais étreint une femme». De fait, Léonard, sur ses planches d'anatomie, va représenter à de multiples reprises toutes sortes de pénis, il rédigera même un court traité de la verge, alors qu'il dessinera par deux fois seulement, comme le note méthodiquement Serge Bramly, le sexe de la femme. Encore sa vision de l'utérus s'avérera-t-elle assez effrayante. De quoi, au moins, le prédisposer à peindre une Annonciation, travail d'atelier probablement exécuté vers 1474. Contrairement à une idée reçue, Léonard n'est pas particulièrement précoce. A 25 ans, il n'a encore rien signé tout seul, tandis qu'il voit bon nombre de ses pairs appelés à Rome pour des travaux importants.
Une certaine amertume le pousse alors à quitter Florence pour le duché de Milan, en plein essor. Changement de décor. L'Italie est parcourue de guerres féodales et les Turcs ont débarqué dans les Pouilles. Milan a besoin d'armes. Vinci fait rapidement savoir à l'entourage du duc qu'il est capable de fabriquer des bombardes d'un type nouveau, légères et maniables. Il se voit en ingénieur militaire et propose mines, béliers, catapultes et autres machines de siège. Il envisage, pour les cités portuaires alliées à Milan, de blinder des navires et de les doter de canons. Passionné par cette vocation nouvelle, il se plonge dans les calculs: «Qui méconnaît la suprême certitude des mathématiques, écrit-il, se repaît de confusion.» C'est à cette époque qu'il prend l'habitude de tout consigner dans un carnet, source abondante qui nous est en grande partie parvenue. Reçu en haut lieu, puis encouragé par une relation de confiance avec le duc Ludovic le More, il s'enflamme pour toutes sortes d'inventions. Il dessine ainsi la ville idéale, débarrassée des murailles de l'époque, succession d'agglomérations distinctes et décentralisées, dotées chacune d'un centre commercial, soit à peu de chose près la configuration de nos villes du XXIe siècle. Il pense à creuser des caniveaux le long des trottoirs, à régler la question épineuse de l'évacuation des ordures. Avec le souci du détail, il songe également au confort intime des citoyens en tenant à multiplier les lieux d'aisances. Il élabore tout bonnement les toilettes que nous connaissons: «Le siège des latrines, décrit-il, doit pouvoir basculer comme le guichet des religieuses, pour revenir à sa position initiale.»
Il n'est pas toujours écouté, mais rien ne l'arrête. Il suffit qu'une éclipse totale de soleil se produise, le 16 mars 1485, pour qu'il se lance dans une étude de l'?il humain. Revigoré, il reprend le pinceau pour nous donner la Vierge aux rochers, consacre - en vain - seize ans à la réalisation d'une maquette géante de la statue équestre de Francesco Sforza et adopte un adolescent aux airs voyous, le petit Salaï, ce qui ne sera pas pour dissiper certaines rumeurs. Hallucinante période milanaise. On trouve dans ses carnets une profusion d'idées, pas toutes réalisées, qui dépassent l'entendement. Un inventaire à la Prévert: un réveille-matin à eau, une rôtissoire mécanique, des moulins, excavatrices, grues, crics, pompes, fontaines, clepsydres, candélabres, meubles pliants (très proches du matériel de camping moderne), serrures de coffre-fort, une porte à fermeture automatique, un fauteuil physiothérapique? Sans oublier mille instruments d'optique, son péché mignon, car il est persuadé que l'?il se trompe moins que l'esprit. C'est ainsi qu'il perçoit les causes de la presbytie et conçoit ni plus ni moins que la première lentille de contact! En extrapolant à partir de la vision humaine, il découvre que la lumière se déplace, qu'elle a sa propre vitesse, qu'il essaie de calculer. Presque deux siècles avant Fermat, affirme Serge Bramly, il énonce cette loi fondamentale: «Chaque phénomène naturel se produit par les voies les plus courtes.»
Toujours à la pointe, il développe un certain goût pour la diététique et cesse de manger de la viande, préférant les pâtes, les légumes et les minestre (potages). Contemporain d'Erasme, profondément humaniste, il montre un grand respect pour la vie humaine et le domaine des sentiments, chose rare en un siècle parcouru de guerres, supplices et tueries en tous genres. Léonard de Vinci ne délie jamais les sciences de la conscience. «Toutes nos connaissances, note-t-il, découlent de ce qu'on ressent.» Ce qui fera dire plus tard à son ami François Ier: «Léonard de Vinci n'est pas seulement un excellent peintre, mais un véritable Archimède; c'est également un grand philosophe.» Il prouve cette dernière qualité en composant un énorme lexique - le Codex Trivulcien - qui comporte 9 000 mots auxquels il donne sa propre définition.
Léonard dans les livres
Vinci projetait de rédiger un traité de peinture. Il en jeta l'esquisse dans un manuscrit, avant de mourir. L'un de ses élèves, Francesco Melzi, se chargea de faire une compilation de ces textes. Plusieurs éditions, plus ou moins sérieuses, ont ensuite, au fil des siècles, vu le jour. La plus réputée est sans doute celle qu'André Chastel, aujourd'hui décédé, réalisa, en se référant au recueil de Melzi, mais aussi à d'autres écrits de Léonard. Ce document, qui ressort chez Calmann-Lévy, constitue un témoignage essentiel pour qui veut comprendre, de l'intérieur, la démarche du maître toscan. Petite merveille d'érudition, la captivante biographie de Serge Bramly, que réédite ces jours-ci Jean-Claude Lattès, permet quant à elle de mieux cerner la personnalité du génie. Rédigée à la manière d'une enquête, elle se lit comme un roman, entraînant le lecteur dans les méandres d'une vie pour le moins complexe.Sous la plume de Frank Zöllner et de Johannes Nathan, Taschen publie de son côté une somme, remarquable par la qualité iconographique des reproductions sélectionnées. A l'analyse de la vie et de l'?uvre de Léonard s'ajoutent le catalogue raisonné de ses peintures ainsi qu'une large sélection de ses dessins et de ses manuscrits. Les éditions Hazan ont joué, pour leur part, la carte du synthétisme. D'une plume alerte, l'historien de l'art Jérémie Koering guide le lecteur dans l'univers de Vinci, montrant les différentes facettes de l'homme et décryptant les caractéristiques principales de son travail.
Traité de la peinture, par Léonard de Vinci, textes traduits et présentés par André Chastel. Calmann-Lévy, 48 ?.
Léonard de Vinci, par Serge Bramly. Jean-Claude Lattès, 24,39 ?.
Léonard de Vinci,par Frank Zöllner et Johannes Nathan. Taschen, 150 ?.
Léonard de Vinci, par Jérémie Koering. Hazan-musée du Louvre. 18,25 ?.
Comment un tel homme peut-il s'accommoder du grand carcan qu'est en ce siècle-là la religion? En cherchant le vrai Dieu, aussi pur et parfait qu'une figure mathématique, par-delà les abus de l'Eglise. Il peint la fameuse Cène du réfectoire de Santa Maria delle Grazie, à Milan, en faisant du Christ un optimum géométrique. La recherche de la quadrature du Ciel le conduit naturellement à étudier l'ascension dans les airs. De l'élévation de l'âme à l'idée de voler, le lien est si direct qu'il dessine à partir de l'observation des oiseaux quantité de machines volantes. Il les imagine tantôt comme des navires flottant dans l'air - les futurs aéronefs - tantôt comme des axes se vissant dans l'air - protovision de l'hélicoptère. Il a compris l'essentiel du principe de l'aviation: prendre appui sur l'air en le considérant comme une matière et non, comme l'enseignaient les préceptes de l'époque, comme une sorte de vide. Sa description de l'hélicoptère est renversante: «Si cet instrument en forme de vis est bien fait? et si on le fait tourner rapidement, il se trouve que cette vis fait son écrou dans l'air et monte très haut.»
Sa créativité hors du commun prouve qu'il se situe au faîte de sa gloire à l'aube des années 1500. Après dix-huit ans passés à Milan, Rome lui ouvre enfin ses portes. Il part vers la cité pontificale, alors dominée par le terrible César Borgia, fils naturel du pape Alexandre VI, présenté par les chroniqueurs du temps comme «plus exécrable qu'un Turc». C'est pourtant ce sinistre personnage qui nomme Léonard ingénieur militaire en 1502, lui offrant une très belle situation? à 50 ans passés. Là encore, Vinci va exceller en projets de toutes sortes. Tous azimuts, car on croise le monde entier à la cour des Borgia. En 1952, surprenante découverte, on retrouvera au musée Topkapi, à Istanbul, une lettre adressée au sultan par un certain Léonard faisant état de la construction d'un pont sur la Corne d'Or. Oui, Léonard a imaginé le pont de Galata, qui figure sur toutes les cartes postales d'Istanbul. Ce qui ne l'empêchera pas de conseiller aux Vénitiens, menacés par les Ottomans, d'élever une digue dans le Frioul afin de noyer les Turcs!
Rome a cependant des inconvénients. Léonard se lie un temps avec un certain Niccolo Machiavelli, mais ni le machiavélisme ni les meurtres répétés du système Borgia ne conviennent à cet homme que la politique n'intéresse pas. Il quitte Rome pour Florence, où il va poursuivre sa mission de conseiller en génie militaire. Pas pour faire la guerre. Pour détourner le fleuve Arno, inventer des machines, domestiquer l'énergie. Léonard ne voit dans la chose militaire qu'un moyen de faire progresser la connaissance. Il n'aime pas le fracas des armes. La preuve, dans sa grande fresque de la Bataille d'Anghiari, aujourd'hui disparue, il montre la guerre sous son visage le plus cruel. «En vrai dédaigneux, dira de lui André Suarès, il était pacifique.» Il a beau inventer la technique du sous-marin, pour couler les navires par le dessous, il écrit néanmoins: «Je ne veux pas la publier, ni la divulguer, à cause de la nature maligne des hommes.» Inclassable Vinci, que certains commencent à railler. Ainsi Michel-Ange, jeune génie violent, attiré par Savonarole, homosexuel torturé, qui lance un jour à son aîné: «Et ces idiots de Milanais t'ont fait confiance?»
Milan, justement, lui renouvelle sa confiance. Léonard y retourne en 1506. Les Français, qui ont franchi les Alpes, y règnent maintenant en maîtres. Les fêtes, réceptions fastueuses, joutes et tournois se succèdent. Qui sera le génial organisateur de ces réjouissances? Léonard sort encore une flèche de son carquois et propose des distractions inédites. Feux d'artifice, machineries extraordinaires, automates? Il devient l'arbitre des élégances, le symbole du bon goût. Sans donner dans la mondanité, car il cultive son jardin secret.
Entre 1505 et 1515, sans que l'on sache où, quand, ni comment, il exécute deux chefs-d'?uvre définitifs: La Joconde et Saint Jean-Baptiste. Deux vrais mystères, en somme, ce qui contribuera à leur succès inépuisable. Deux créations, aussi, qui empruntent sans doute à sa passion constante de l'anatomie. Durant toute sa vie, il aura disséqué près de 30 cadavres, avec une rare minutie, étudiant les mouvements des tissus, dessinant les muscles et les veines, tirant plus de 200 planches de cette investigation macabre, dont sa peinture va pleinement bénéficier malgré la disgrâce du pape Léon X. Michelet le qualifiera pour cette raison de «frère italien de Faust». Mais la médecine en profitera, notamment en ce qui concerne le système respiratoire et d'autres grandes lois du corps.
Après un dernier séjour à Rome, c'est fatigué, à juste titre, que Léonard accepte finalement une agréable proposition de retraite de la part des Français qui viennent de remporter la bataille de Marignan (1515, comme chacun sait). Il impressionne François Ier en faisant évoluer sous ses yeux un lion automate capable d'effectuer plusieurs pas et dont la poitrine s'ouvre soudain pour montrer à la place du c?ur un bouquet de fleurs de lys. Le roi en est si enchanté qu'il offre au génie italien une vraie rente pour venir travailler à la cour de France, sur les bords de la Loire, où le rayonnement du royaume exige la présence d'un artiste de renommée internationale. Vinci a alors 65 ans. Il va vivre deux années heureuses, entre ses conversations avec le roi et ses dernières idées d'escaliers doubles, triples, quadruples, que les châteaux de Chambord ou de Blois ont peut-être copiés. Le 2 mai 1519, il expire dans les bras mêmes de François Ier.
D'une ?uvre incommensurable, nous sommes tant redevables qu'il est impossible de dresser la liste de nos dettes. Ce sont surtout ses portraits énigmatiques, de La Joconde à La Vierge et sainte Anne, qui l'ont rendu célèbre. Et sa fameuse technique du sfumato, savante superposition de lavis et de glacis, qui bouleversa l'art de peindre. Parce que, en opposition avec la «manière sèche» de ses prédécesseurs, Léonard de Vinci noyait ainsi «les contours d'une vapeur légère», comme l'écrira Diderot, restituant le volume d'un corps, la profondeur d'un paysage, donnant l'illusion de la vie. Il n'a pourtant peint que peu de tableaux. Une trentaine, pense-t-on, dont il ne reste que la moitié, et encore pas tous achevés, comme l'Adoration des mages, que l'on peut admirer aux Offices, à Florence, ou le sublime Saint Jérôme du musée du Vatican. Il a mis quatorze ans pour peindre Sainte Anne, dix pour La Joconde, cinq pour Léda. Une vertu, selon lui, que ses commanditaires n'appréciaient guère. On a aussi critiqué sa désinvolture, car il avait la réputation, justifiée, d'abandonner ses chantiers en cours. Ses multiples activités l'accaparaient, sans aucun doute. Est-ce la raison pour laquelle la puissante Isabelle d'Este, dont il avait dessiné un portrait, ne put jamais le convaincre de prendre le pinceau? En avril 1501, Pietro da Novarella, vicaire général des carmélites, s'était pourtant déplacé à Florence afin de le persuader de peindre pour elle un «petit portrait de la Madone». Sa mission fut un échec: Léonard est «si absorbé par ses recherches mathématiques qu'il ne supporte plus de peindre», écrit Pietro à la marquise de Mantoue?
Durant ses quarante années de carrière, Vinci a en revanche réalisé des milliers de dessins, qui ont, eux, presque miraculeusement, traversé les siècles. De la pointe métallique à la plume et à la craie de couleur, pierre noire ou sanguine, il a expérimenté toutes sortes de techniques. Les collectionneurs s'arrachaient déjà ses feuilles de son vivant. Sa renommée était d'ailleurs si grande que, lorsqu'il retourna à Florence, en 1500, après vingt années d'absence, il lui suffit d'exposer le carton de Sainte Anne, la Vierge et l'Enfant pour regagner l'admiration de ses concitoyens. Si l'on en croit son premier biographe, Vasari, qui écrit au milieu du XVIe siècle, toute la ville défila alors dans son atelier «pour admirer les prodiges du maître». Le dessin a été en réalité chez Léonard un moyen d'expression précoce. Vasari - encore - raconte que son père, conscient de ses prédispositions, aurait placé Léonard chez Verrocchio en lui présentant quelques-unes de ses feuilles?
Une chose est sûre. D'une incroyable diversité, l'?uvre graphique de Vinci a largement contribué à forger le mythe du génie universel. Car, mieux que les peintures, elle rend compte de son insatiable curiosité et de l'ampleur de ses recherches. Les dessins exposés au Louvre font donc pénétrer le visiteur au c?ur du système Vinci. Tout comme ses manuscrits, également présentés au public, où se mêlent écritures et illustrations. Partie la moins connue de son ?uvre, ces derniers n'ont fait qu'ajouter au mystère. Car ils ont la particularité d'être rédigés de droite à gauche, selon une écriture inversée, seulement déchiffrable avec un miroir. Sans doute Léonard voulait-il protéger des secrets.
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