Je n'ai qu'une patrie : la langue française, Camus

« Je n’ai qu’une patrie: la langue française » (Albert Camus).

        En 1870, après la défaite contre la Prusse, deux visions de nationalisme se mettent en place. Le nationalisme allemand, prononcé par Mommsen qui prône le droit du sang et les valeurs ethniques. A l’inverse, le nationalisme français est basé sur le consentement et résumé par les mots de F. De Coulanges en 1870: « La patrie, c’est ce qu’on aime ». Quelques années plus tard, Renan dans une conférence à la Sorbonne définit la nation comme « un riche lègue de souvenirs en commun, un plébiscite de tous les jours ». Ainsi, dans le nationalisme français, la langue commune semble être un liant essentiel. C’est ce que nous rappelle Albert Camus dans un extrait issus Des Carnets II dans lequel il assimile clairement la langue française et la patrie.

        La patrie vient du latin patria qui signifie « terre des aïeux », dans l’Antiquité c’est le lieu où sont enterrés les ancêtres. Dès 1871 en France, la patrie a un sens nationaliste pour les revanchards. La patrie, au delà de son sens militaire, représente la pays où l’on est né, la nation dont on fait partie, la société dont on est membre. La langue française, quant à elle, est souvent considérée comme étant un des liants essentiels de la patrie. En effet, issue du latin, elle trouve ses racines dès le débuts de l’histoire de France et n’a cessé de prendre une place de plus en plus importante jusqu’à devenir la langue nationale officielle après la guerre de 1870. Au delà, le français devient petit à petit une langue internationale parlée au delà des frontières de l’hexagone. Elle a donc connu une attitude progressiste en passant de la langue des intellectuels des Lumières à la langue de la nation puis en étant une langue internationale.

        Alors, il convient de se demander dans quelle mesure la langue française est synonyme de patrie française. Au delà, la langue française comme nous le présente Camus, est-elle le seul élément qui représente la patrie? Puisqu’elle est devenue une langue internationale, comment se fait-il qu’aujourd’hui, la langue française puisse encore être assimilée à la notion de patrie?

        Ainsi, comment expliquer que la langue française soit de plus en plus mise à l’écart et oubliée par les courants nationalistes alors même qu’elle a tenu une place importante dans la construction de la patrie et du façonnement du monde?

                Bien que la langue française soit perçue comme un vecteur essentiel de nationalisme et de patriotisme en France, ce n’est pas sans limites (I). Au delà d’avoir façonné la patrie française, la langue française a quelque peu façonné le monde, encore une fois non pas sans limites (II).

        A bien des égards, la langue française est un vecteur de nationalisme (A). En revanche, d’autres éléments ont permis la construction de la nation française (B).

        La langue française, avant d’être reconnue comme langue nationale officielle, a connu, à bien des égards, un développement progressif. Le français provient de plusieurs bases : base latine, romane, germanique ou francique. La première étape de la progression de la langue française se trouve avec les Serments de Strasbourg en 842: Louis II et Charles le Chauve s’unissent contre le latin. La seconde grande étape se trouve dans l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 qui bannit l’usage du latin dans les actes juridiques au profit du français. De par ces évènements, le français va connaître un véritable essor jusqu’à la création, en 1634, de l’Académie française. Cet essor ne fait que commencer et plusieurs dates historiques viennent le nourrir.

        En effet, la Révolution de 1789 a eu un impact important, pour la première fois, la langue française est associée à l’idée de nation. En 1794, le rapport Barrère dénonce le péril de la langue régionale: « Le fédéralisme et la superstition parlent breton ». La même année, une loi impose le français pour tout acte public. Penser la Révolution nous oblige d’évoquer les grands philosophes des Lumières. Honoré Gabriel Riqueti, ou Mirabeau, premier des « grands hommes » dont la dépouille a été transférée au Panthéon, est aussi un des premiers à revendiquer la langue française dans des articles, tel que celui Sur la liberté de la presse. Pour les philosophes des Lumières, la langue française est synonyme de nation, de patrie, de liberté. Ainsi, il est évident que la littérature française, et donc la langue française a contribué à la patrie. Il est ainsi écrit sur le Panthéon: « Aux grands hommes la patrie reconnaissante ». Ceci prouve, jusqu’à un certain point à combien la langue française a servi la patrie.

        Un autre fait historique a fait progresser la langue française: la mise en place de la Troisième République en 1870. Les Républicains ont permis la diffusion d’une école patriotique, au travers du français. La langue est devenue alors nationale est officielle, elle est également signe d’une appartement à l’identité nationale. Les langues régionales disparaissent petit à petit au profit d’une langue qui rassemble le peuple français. Parler occitan ou catalan, était alors considéré comme archaïque. Il y a alors un lien évident entre langue française et patrie.

        Enfin, on peut retrouver ce lien fort entre patrie et langue française aujourd’hui aux vues de la montée du nationalisme retrouvé en 2017 et le passage du Front National au deuxième tour de l’élection présidentielle. Parti nationaliste, anti-européen et évidemment contre l’apprentissage de l’arabe à l’école primaire, l’avancée de Front National, ou Rassemble National prouve un certain regain pour le patriotisme français, et donc la langue française.

        Ainsi, il serait sot de ne pas avouer l’apport de la langue française dans la construction de la patrie. Pour autant, ce n’est pas le seul élément et la patrie française s’est construite grâce à bien d’autres facteurs qu’on ne peut laisser de côté.

        Dans un premier temps, les différentes guerres que la France a connu ont su fortifier une certaine appartenant à une patrie française.

        Certes l’avènement, en 1870, de la Troisième République a joué à faire ancrer la langue française au sein de la patrie, mais pas que. Autour de cette date, d’autres explications peuvent expliquer l’achèvement de la patrie française. Tout d’abord la défaite face à la Prusse et l’acceptation de la levée en masse alors que la victoire adverse semble évidente. La France subit une terrible défaite et ne peut l’oublier, ce qui favorise l’affirmation d’un nationalisme blessé, tourné vers l’Allemagne et hanté par le souvenirs des provinces perdues, peintes en noir sur les cartes dans les écoles, signe de deuil. Aussi, les Hussards Noirs de la République vantent la nation française en faisant lire aux élèves Le tour de France par deux enfants, la patrie française et ses différentes cultures est donc connue de tous. Cependant, les thématiques nationalistes et patriotiques sont assez différentes, référence à la gloire militaire pour les bonapartistes, référence à Dieu pour les légitimistes.

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