Under the Skin, du film comme expérience sensorielle
Mémoire : Under the Skin, du film comme expérience sensorielle. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar jsalazar • 10 Avril 2018 • Mémoire • 9 951 Mots (40 Pages) • 685 Vues
Under the Skin
du film comme expérience sensorielle
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José SALAZAR
SALAZAR José
« Analyse du film Under the Skin de Jonathan Glazer.
Du film comme expérience sensorielle »
Article de Master 1 Recherche Cinéma et Audiovisuel
Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne
Sous la direction de la Prof. Sarah Leperchey
2015
Introduction
En 2014, dix ans après son deuxième long-métrage de fiction, Jonathan Glazer, réalisateur anglais de vidéo-clips et publicités à succès, réitère son incursion dans la création cinématographique avec Under the Skin, mettant en scène Scarlett Johansson en tant que créature prédatrice arrivée sur terre pour chasser des hommes, les séduire et les amener dans sa chambre noire. En les faisant plonger dans un liquide noir visqueux, elle vide lentement ses victimes de leur substance vitale. Officiellement présenté comme un thriller de science-fiction, le film se défait des codes du genre dès son ouverture, pour s'installer dans une réalité parallèle, distillée à travers le regard immersif du personnage joué par Scarlett Johansson, qui sillonne la ville de Glasgow dans son mini-van à la recherche de ses proies. Avec cette adaptation éponyme – et très libre – du bestseller de science fiction écrit par Michel Faber, Jonathan Glazer signe un opus déroutant d’une grande sensualité qui semble emprunter autant de codes au cinéma expérimental qu'au cinéma narratif. Au-delà des critiques visant à cerner le film comme objet esthétique ou œuvre de génie, nul ne peut nier le sentiment d’étrangeté qui l’envahit lors de sa réception. Pourtant, le film s’inscrit dans une esthétique fortement réaliste. Dans une interview pour la chaîne de télévision anglaise Film 4, le réalisateur a affirmé : « L’esthétique n’était pas importante pour moi dans ce film. Le monde devait être tel qu’il était, sans fioritures »[1]. Et pour cause, la plupart des scènes ont été tournées au style du cinéma-guérilla, lors de vraies déambulations de Scarlett Johansson dans un mini-van spécialement équipé de caméras et de microphones cachés qui captaient les moindres faits et gestes de la star – méconnaissable grâce à une perruque noir et un accent anglais travaillé pour les besoins du film – et des inconnus qui acceptaient de se laisser conduire par cette femme rendue « anonyme ». Mais le témoignage du réalisateur est à prendre avec parcimonie, car force est de constater qu'il possède un sens aigu du potentiel esthétique du réel, dont il s'est servi pour pouvoir naviguer aisément entre les deux univers du film : celui des humains, résolument réaliste et inspiré d'un style se rapprochant du cinéma documentaire et celui de l'extraterrestre, d'une grande portée esthétique. C’est justement cet écart entre le réalisme du dispositif et la dimension irréelle du récit qui m'a incité à faire l’analyse d'Under the Skin. Lors de mon premier visionnage du film au cinéma, j’avais la certitude d’avoir assisté à une expérience cinématographique extraordinaire. Ce sentiment d'étrangeté m'a poussé à orienter mes réflexions dans un premier temps vers l’art vidéo et le cinéma expérimental pour essayer d’y trouver des références concrètes. Cependant, mes premières recherches m’ont aidé à relativiser la naïveté de mes soupçons et à découvrir un univers théorique propre aux études cinématographiques qui m'était relativement inconnu jusqu'à lors, celui de l’approche sensorielle de l’esthétique des films. Grâce à mes lectures, j’ai pu me familiariser avec ce courant de pensée qui vise à définir des nouveaux rapports entre films et spectateurs et à revoir les relations entre l’écran, le corps et les sensations. Comme le rappelle Martine Beugnet dans son ouvrage consacré à l'art de la transgression dans le cinéma français contemporain[2], cette approche théorique est en résonance avec les propositions de certains cinéastes qui, tout en évoluant dans des registres cinématographiques très différents, explorent depuis quelques dizaines d'années une esthétique des sensations, dont un des fondements serait celui de s'appuyer sur la matérialité du medium cinématographique pour jouer sur la capacité des sons et des images à créer une vision haptique[3]. Ramenée au domaine de la création cinématographique, cette fonction permettrait d'exploiter la capacité du cinéma à éveiller des formes de perceptions sensorielles autres que la vue pour en faire une ressource esthétique formelle pouvant être employée dans la mise en scène de cinéma. Des cinéastes tels que David Lynch, David Cronenberg et Wong Kar-Wai ou encore Vincent Dieutre et Philippe Grandrieux – pour n’en citer que quelques uns – ont déjà fait appel au potentiel synesthésique du cinéma pour la mise en scène de films inscrits dans des genres aussi diverses que le documentaire intimiste, le drame, l’horreur ou la science-fiction. Profitant du degré de liberté offert par cette approche, je voudrais me détacher des codes spécifiques au genre du cinéma fantastique – genre dans lequel Under the Skin feint de s'inscrire – pour orienter mon analyse vers l’identification des éléments esthétiques permettant d’inscrire ce film dans un système de représentation formel qui exploiterait les facultés sensorielles du dispositif cinématographique pour les besoins du récit. Mais avant de considérer la possibilité d'une esthétique des sensations mise au service du film, je consacrerai la première partie de mon article à la description des univers esthétiques présents dans le film et permettant de créer une scission entre le monde des humains, représenté par des scènes tournées en totale immersion dans le réel et celui de l'extraterrestre, imprégné d'un formalisme qui tend vers l'abstrait. Je profiterai de quelques instruments documentaires pour faire allusion aux particularités du dispositif technique utilisé pour la réalisation d'Under the Skin – dont une bonne partie a été spécialement conçue pour les besoins du film – et aux répercussions dans la forme finale du récit. Ensuite, je voudrais analyser les mécanismes d'articulation employés par le cinéaste pour faire évoluer son récit à l'intérieur de ces deux mondes et pour réussir à inscrire le film dans une continuité esthétique, nécessaire à l'adhésion du spectateur à la diégèse. L'occasion de mesurer l'importance accordée à la perception sensorielle dans le surgissement d'un univers propre au film et d'identifier les éléments filmiques et profilmiques – tels que définis par Etienne Souriau[4] – témoignant d'une telle approche. La dernière partie de mon article sera consacrée à l'analyse des moyens sonores qui ont été utilisés par le cinéaste pour mettre à profit la dimension sensorielle du récit et pour faire de son film un objet multi-sensoriel. Je parlerai du rôle structurant de la musique dans la concrétisation de l'univers esthétique du film et de la façon dont le montage de la bande son a été dirigé par le cinéaste dans le but de définir un paysage sonore d'une extrême richesse, contribuant à l’immersion sensorielle du spectateur et à son ancrage dans l’univers irréel de la diégèse. Ainsi menée, le but de mon analyse serait de prouver à quel point la composante sensorielle aura été favorisée par Jonathan Glazer en lieu et place des facultés cognitives communément sollicitées dans le cinéma narratif traditionnel, pour inciter le spectateur à vivre son film comme une expérience sensorielle.
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