Cinema horreur japonais / Takeshi Miike
Dissertation : Cinema horreur japonais / Takeshi Miike. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Ophélie Lemay • 15 Décembre 2021 • Dissertation • 2 192 Mots (9 Pages) • 407 Vues
ANALYSE DE AUDITION DE TAKESHI MIIKE À TRAVERS LA THÉMATIQUE DES RELATIONS
Le cinéma d’horreur japonais trouve ses racines dans les contes lugubres et fantomatiques de la période Edo, mais c’est véritablement dans les années 1990, d’abord par la littérature, puis grâce au cinéma que ce genre se développe. À travers ces œuvres effrayantes, on retrouve une ouverture stylisée sur les enjeux de cette nation.
La peur, contrairement au consensus souvent répété, n'est pas une réaction à des choses que nous ne savons pas ou ne comprenons pas. Il y a beaucoup de choses que nous n’avons pas comprises, mais qui ne nous inquiètent pas. En fait, nous anticipons souvent avec excitation la découverte de ce qui nous est inconnu. Ce qui déclenche réellement la peur est le sentiment que l’on a perdu le contrôle. Les êtres humains structurent leur vie autour de routines, de rituels, d’habitudes et de plans afin de suggérer une structure, une sécurité et une solidité qui n’existent pas réellement. Le sentiment d’être en contrôle est notre consolation face au fait que chacun de nous pourrait périr à tout moment. Une illusion qui nous conforte. Lorsque ce sentiment nous est enlevé, que ce soit par l’apparition du danger ou par un rappel brutal de la mortalité, la peur apparaît. La peur nous dit de prendre le danger au sérieux tandis que chaque routine que nous adoptons contribue implicitement à une barricade contre la reconnaissance même de cette angoisse. Ce qui nous amène à l'œuvre de 1999, Audition du réalisateur Takeshi Miike. Le réalisateur explique d’ailleurs dans une entrevue que le film d’horreur, à son avis, est avant tout un film sur les réactions humaines:
Dans les films d’horreur, nous pensons que l’élément horrible est une chose spéciale qui n’existe pas dans la vie réelle et c’est pourquoi nous pouvons en profiter. Mais il y a aussi des choses terrifiantes dans la vie et elles sont toutes faites par des êtres humains. Tout le monde a ces choses en lui. Donc en filmant des êtres humains, ça devient naturellement un film d’horreur.[1]
Dans ce long métrage, on suit l’histoire d’Aoyama, un homme d’affaires d’âge moyen ayant perdu sa femme sept ans avant les évènements du film qui est convaincue par un collègue de chercher une nouvelle compagne. Cependant, étant plus âgé et las du monde des rencontres, Aoyama et son partenaire mettent en place une fausse série d’auditions pour un rôle de film inexistant. Grâce à ces auditions, Aoyama croit qu’il sera en mesure d’apprendre autant qu’il a besoin de connaître les candidates afin de déterminer leur qualité en tant que partenaire potentiel. Aoyama est rapidement attiré par Asami qui se présente comme une jeune femme docile et discrète afin d’entretenir une relation avec elle. En peu de temps, les deux personnages se lisent d'une relation très sérieuse. Éventuellement, la nouvelle compagne du personnage principal le guidera vers une fin tragique.
En surface, Audition est commercialisée comme un film d’horreur bien que la première moitié de son exécution soit notoirement trompeuse à cet égard. En fait, on pourrait dire que la progression de l’intrigue fait miroir au développement de la pratique artistique du réalisateur, qui antérieurement à la réalisation de ce film avait produit des œuvres plus commerciales avant de se lancer dans le cinéma d’horreur. Takashi Miike décrit son approche au film d’horreur comme une progression lente, mais une chute surprenante:
Je n’utilise pas la violence seulement pour choquer; elle doit se sentir réaliste et organique aux événements. Bien sûr, quand je dis réaliste, je ne veux pas dire que ma propre vie de famille est quelque chose comme ça. Les réalisateurs dont les films me font le plus peur sont ceux qui cachent soigneusement l’agression en arrière-plan et qui ne la montrent pas directement.[2]
Ainsi, le film berce ingénieusement son public dans un faux sentiment de sécurité, fournissant de petits détails étranges occasionnellement, juste assez pour le déstabiliser, mais pas assez pour dénoter quelque chose de grave dans les procédures. Dès lors, une fois le film descendu dans son véritable territoire d’horreur dans tous ses excès, le spectateur est d’autant plus choqué et surpris.
Le roman original sur lequel repose Audition a été écrit par Ryu Murakami. L'œuvre est typique de Murakami du fait qu’il contient ce que Miike appelle la violence mélancolique. L’auteur fournit depuis longtemps des commentaires sociaux sur les enjeux du Japon contemporain et de l’identité japonaise moderne. Ses romans s’égarent souvent dans les domaines du sexe, de la violence et de la drogue. Murakami cherche à exposer les aspects sordides du Japon plutôt que de couvrir les parties moins flatteuses de son pays d’origine afin d’en sauver la face.
Comme les films de Miike reposent souvent sur un usage intensif de la violence lors de son exploration du côté sombre de la vie au Japon, son style de réalisation semble correspondre parfaitement à la vision de l’amour de Murakami dans les années 1990.
Le message central dans Audition semble être qu’il est impossible de réellement connaître quelqu’un dans toute sa complexité, et ce même si l' on croit la connaître à un niveau profondément personnel. C’est un message assez courant dans les films japonais. Ce qui frappe à propos d’Audition, c’est la façon dont le film lui-même a adopté ce message dans sa mise en scène. Effectivement, au premier abord, la première partie du film semble dépourvue d’horreur, toutefois lorsque l’on prête attention, on remarque que des indices lugubres donnent des indices sur la psychologie tordue du personnage d’Asami. Cependant dans la seconde partie, alors que Aoyama est à la recherche d’Asami après leur escapade à l'hôtel, c’est là qu’on découvre la véritable horreur du film.
Dès sa rencontre lors de l’entrevue organisée, Yoshikawa, l’ami et partenaire de Aoyama, lui fait part de son mal à l’aise face à Asami. Il le met en garde, lui disant qu’il éprouve de mauvais sentiments à son égard. Plus tard, à 41:33 du film, il admet avoir vérifié les références qu’elle avait fournies pour l’entrevue et n’avoir rencontré que des impasses. À ces avertissements sont superposées les images de la jeune femme captées durant l’entrevue. Celles-ci apparaissent fragmentées, saccadées et ciselées, ce qui déforme son visage à l’écran. Le recours à une mise en abîme des codes cinématographiques ramené au sens même du cinéma en japonais, eiga c’est-à-dire « projeter image ». D'emblée on reconnaît au Japon le caractère illusionniste des images cinématographiques. Ainsi, dans cet extrait du film, la déformation du personnage par les images vidéos indique que l’on a seulement accès à une image déformée et performative d’elle. On reconnaît alors le thème du film, l'ignorance face à la véritable nature des gens qui nous entourent.
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