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Construction d'une identité double, question de pesanteur ou d’apesanteur ?

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Par   •  26 Avril 2021  •  Commentaire d'oeuvre  •  1 858 Mots (8 Pages)  •  531 Vues

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Synthèse filmique : Dualité esthétique dans Batman par Nolan

Construction d'une identité double, question de pesanteur ou d’apesanteur ?

  Batman n'est pas seulement le super-héros aux aventures dantesques et victoires aisées sur l'ennemi. Ici, Batman s'envole et prend une tout autre envergure. Batman Begins est une longue introduction sur le personnage de Bruce Wayne. Une enfance aux côtés d'un père bureaucrate qui le fascine, le meurtre de ses parents, l'exil loin d'un Gotham City qui s'enfonce dans la décadence. Entre ellipses et révélations, Batman Begins prend le temps d'expliquer qui est Bruce Wayne et ce que sera son Batman : un homme qui doit vivre avec ses fantômes (le désir de vengeance), ses peurs (la chauve-souris car elle m'évoque la peur et le temps est venu pour mes ennemis de la partager) et ses nouvelles responsabilités. Bruce Wayne se grime alors en justicier rêvé pour Gotham City. En surface. Christopher Nolan lui confère une double identité où l'homme torturé par son passé et ses sentiments tente de tenir une ligne de conduite où la sagesse est plus que mise en doute. Ainsi, dans The Dark Knight, le Batman oscillera entre justice fiévreuse et meurtres par contraintes. Fort de sa construction narrative, le scénario compose les failles du super-héros face à son ennemi. La dualité permet alors de poser une question loin d'être anodine : Pourquoi tombons-nous ?  Une ouverture philosophique sur la chute de l'homme face aux dérives du Mal et l'irrémédiable attirance de l'être humain vers la déviance lorsque le Mal le ronge. Un questionnement qui servira de fil rouge à la trilogie qui s'ouvre alors...

 En effet, The Dark Knight développe une forme de noirceur plus intense et néanmoins très enivrante. Le Batman est  torturé par un désir de vengeance qui est happé par une volonté de rendre la justice. Pour arriver à ses fins, il devrait lui-même enfoncer Gotham dans le chaos. Une stratégie d'usure qui sied à merveille au « vilain » de cet épisode central : Le Joker. Figure de proue du machiavélisme, il est à la fois détestable et jubilatoire.  Plus qu'un simple film de super-héros, The Dark Knight se pose comme un questionnement sur la société et ses dérives. Nolan utilise une narration toujours plus dense tout en sublimant un Gotham à l'ambiance délétère. Alors que le cinéaste choisissait un climax post-horrifique pour Batman Begins, The Dark Knight offre une noirceur physique accrue, où le Joker s'en donne à coeur-joie. On magnifie le montage parallèle autant que l'on maîtrise les différentes formes de récit (de la comédie au huis-clos en passant par le mélodrame et le thriller). La maîtrise formelle des épisodes permet à Nolan d'exploiter toujours mieux les fissures psychologiques d'un super-héros qui se retrouve largement dominé territorialement par un Joker éblouissant à chaque scène. The Dark Knight  sera l’histoire d'un héros à la double identité, complexe et tiraillé. Elle sera celle d'une multitude d'ennemis tous plus captivants. Pour The Dark Knight, le seul et unique méchant, plus impressionnant et effrayant, le Joker, est un magicien clownesque d'une intelligence sans égale, véritable pervers vicieux, qui oscille entre le serial killer fou et l'être réaliste, capable de sentir les peurs des gens, de jouer avec pour en tirer les plus mauvaises facettes. A lui seul, le Joker retournera un Gotham plongé plus que jamais dans le chaos. Chacune de ses apparitions est un pur plaisir jouissif, tant Heath Ledger se donne dans ce personnage insaisissable. Le duel Batman / Joker s'impose comme l'un des plus beaux sur ces vingt dernières années, tant il use de rebondissements et permet au scénario d'étendre toujours ses capacités fédératrices. Batman, filmé en contre-plongée, est au-dessus de son adversaire, pouvant ainsi lui asséner des phrases qui résonnent comme une domination de l’autre ; le leitmotiv de Bruce Wayne est sans nul doute : Pourquoi chuter ? Pour mieux nous relever. La question revient dans l’esprit de Bruce Wayne, lorsqu’il est enfermé dans une prison indienne, essayant désespérément de remonter un puits réputé infranchissable. La situation, qui rappelle le mythe de Sisyphe, ne peut connaître son dénouement que par le spectateur, qui aura répondu mentalement (par l’esprit) à la fameuse question, dont la réponse n’est pas donnée dans The Dark Knight. C’est cette union entre le spectateur et le personnage, entre l’esprit et l’action, le verbe et le muscle, qui donne aussi sa force duelle au film.  La trilogie se clôt donc bien sur une ascension, celle de la jeune garde prête à donner un nouveau visage au combat de Batman, immortalisé par une statue honorifique. Si l’on voit davantage John Blake que son mentor, c’est bien le signe d’une pérennité de l’engagement en faveur des plus faibles, mais aussi de l’héritage de Batman. Plus que celui de Bruce Wayne, énoncé à la fin du film, c’est celui de l’homme chauve-souris qui importe ; son action reste le vecteur de Blake, déterminé à assurer la survie de l’idéal de justice incarné par les deux faces d’une même pièce : Harvey Dent, le chevalier de lumière, et Batman, le chevalier

      De surcroit, Nolan construit une opposition claire entre les lignes horizontales-verticales face aux éléments de confusions (utilisation de la transversalité ou du flou). A la façon de Metropolis, les puissants dominent depuis leurs tours tandis que la population s’entasse dans les bas-fonds. Sauf qu’ici, le père de Bruce Wayne, grand argentier et bienfaiteur de la ville, n’a rien de l’obscur despote de Metropolis. Dans son grand rêve américain, le puissant se voit comme un faiseur de paix et d’émancipation, avec un comportement un brin paternaliste. A la verticalité des lignes des buildings se complète naturellement l’horizontalité des rues, très angulaires et pleines de recoins. Néanmoins, malgré la nuit très souvent filmée (Batman ne sort qu’une fois le jour tombé), Gotham reste une ville limpide à admirer, surtout avec ses nombreux plans aériens qui ponctuent le film des reflets délicats des vitres. Nolan applique cette même vision verticale à l’ascension psychologique de Bruce Wayne. Il gravit les édifices, sa quête purificatrice le mène aux sommets. Pendant toutes les confrontations (duels et conflits !) de Begins, il sera toujours question de vérifier si la glace ne vous fait pas choir ou si le métro arrive à bon port. La métropole pourrit sous un mal invisible : la pègre gangrène les quartiers et met à mal l’idéal calme et aéré de la dynastie Wayne. C’est là qu’intervient le mal qui brise les lignes. Dans Batman Begins, deux choses viennent troubler l’ordre. L’Epouvantail utilise un gaz délirant pour brouiller la perception du monde et faire ressurgir les cauchemars. Plus globalement, les terroristes cherchent à rendre fou la population décadente de Gotham, qu’ils comparent à Rome ou Constantinople, villes-type de l’entassement des populations. Bruce Wayne apprend au départ auprès de ces ninjas des montagnes, mais grâce à sa morale plus humaniste, il refuse donc l’anarchie de tout détruire. Néanmoins, sa créature – l’homme chauve-souris – s’avère elle aussi une pourfendeuse du rectiligne. Puisque la pègre maitrise un environnement qu’elle a repris à son compte, Batman profite du terrain. Il se dissimule, attaque par surprise, modifie l’espace s’il le faut. L’obscurité sert d’arme, la confusion aussi. Dans le plus héroïque des plans, Batman saute du haut d’escaliers en colimaçon pendant que des nuées de chauves-souris sèment le chaos parmi les policiers. Ce saut brise une harmonie visuelle dessinée par la vue de trois-quarts qu’offre la caméra. S’en suit une course-poursuite avec la Batmobile aux allures de tank. Là encore, le véhicule désobéit à l’ordre établi par l’architecture. Il détruit des pans de murs, bondit de toit en toit. Naturellement, les voitures de police ne peuvent pas suivre.The Dark Knight, pousse encore plus loin la peur de l’anarchie. Puisque l’utilisation du réseau de Gotham ne suffit pas à vaincre sa population, puisque la ville a son chevalier noir en place, le plus effrayant est encore d’apporter la pire des pestes : un homme qui ne répond pas aux logiques humaines. Nolan façonne son Joker selon un code esthétique précis. Fini l’accoutrement de clown terrifiant de Nicholson, Ledger arbore un maquillage craquelé, sans aucune symétrie dans le visage, avec les cheveux en bataille. L’une des explosions qu’il déclenche offre un plan saisissant avec des pompiers sur les ruines. Dans un de ses multiples élans cyniques, le Joker explique à Harvey Dent – symbole de pureté à Gotham City – que la panique ne vient que quand il n’y a pas de plan. Autrement dit, le désordre ne vient pas tant des méfaits commis (crimes, vols) que de l’imprévisibilité de ceux-ci.  Son plus bel exemple s’illustre par le camion-citerne de leur course-poursuite qui se retrouve à la verticale. Les lois de l’attraction, qu’il faut dépasser, titillent Nolan et il trouvera un terrain de jeu parfait dans Inception. Les lignes d’horizons se brouillent sous les ombres et les flammes. Et comme pour montrer qu’il explore tous les recoins de la ville, le réalisateur systématise les plans circulaires à 360°. Rien n’y surgit et pourtant le danger guette. L’odeur de fin du monde qui règne est résumée par le sage Alfred : Certains veulent juste voir le monde brûler. Là où la destruction du manoir des Wayne servait à le reconstruire sur des bases saines, l’effondrement souhaité par le Joker empêche un lendemain. En cela, le terme « anarchie » cher à Proudhon s’efface complètement et il devient synonyme de « chaos ». Enfin, le Joker a pour but de montrer au monde que l’individu cause la perte du groupe. Il prend en otage deux ferrys – l’un de citoyens lambdas, l’autre de prisonniers – et met en place un plan pour qu’ils s’entretuent. L’échec de ce stratagème est la réponse très américaine du triomphe de l’individu en tant qu’être vertueux. The Dark Knight ne se vautre pas pour autant dans un angélisme béat. Au contraire, son pessimisme fascine. Le sacrifice du héros de l’ombre se clôt alors que quelques minutes plus tôt, les derniers mots du Joker relativisant les notions de bien et de mal : Tu me complètes, assène-t-il à Batman. Pour ce qui est de briser l’ordre, il avait raison, le joker reste suspendu à un fil comme Batman ne cesse d’éviter le vide qui l’amènerait à mourir sur terre dans la peau de l’homme qu’il est et qu’il cherche à fuir.

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