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La Complainte Du Progrès

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Par   •  27 Janvier 2014  •  1 468 Mots (6 Pages)  •  1 675 Vues

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La Complainte Du Progrès :

Boris Vian 1956

Chanson

Chanson composée en 1956 pendant la période des « Trente Glorieuses ».

Contexte historique

Sortie de la deuxième guerre mondiale, tickets de rationnement supprimés depuis 5 ans seulement. ( maintenant on va acheter sois même sa nourriture )
Plan Marshall ( non-adhérence au parti soviétique ), la France reçoit 2,5 milliards de dollars de la part des USA pour la reconstruction du pays. Gouvernement provisoire (1944-46 De Gaulle), IVe République (1946-58), Ve République (1958 à nos jours). Premiers pas de la société de consommation, entrée dans un monde d’abondance.
C’est la période des Trente Glorieuses, de 1946 à 1975 environ.

Trente Glorieuses :

Expression inventée par l'économiste français Jean Fourastié en 1979.

Période de forte croissance économique, plein emploi et essor de la consommation. A ne pas confondre avec les" Trois Glorieuses ", les trois journées révolutionnaires des 27, 28, 29 juillet 1830.

Durant cette période, la consommation des ménages français se développe considérablement.

En 1957 :

-  6,7 % des foyers possédaient une automobile contre 65,3% en 1976

-  17,4 % possédaient un réfrigérateur contre 90,8% en 1976

-  1 français sur dix possédait un lave-linge contre 7sur dix en 1974

-  14% des logements disposaient d’une douche ou baignoire

-  1% possédaient un téléviseur.


Grâce au crédit, la consommation devient une préoccupation majeure. De nouveaux objets alléchants garnissent les étagères (rasoir, transistor, sèche-cheveux, lampadaires, cocottes, mixeurs, etc...). 
Avec l’augmentation du niveau de vie, un certain nombre de mutations sociologiques et démographiques caractérisent les trente glorieuses : une baisse de la natalité (fin du baby-boom en 1965) et le changement du rôle des femmes dans la société. La « maîtresse de maison » exerce alors une profession salariée.
Les rôles évoluent donc au sein des foyers. 
Les villes et leurs banlieues grandissent. Axes de communications en voie de développement.
Entre 1950 et 1970, la France produit plus de logements que depuis le second empire. 
Aujourd’hui, la croissance économique des « Trente Glorieuses » n’est plus mais notre univers quotidien est toujours fondé sur une consommation frénétique.

Biographie de Boris VIAN

Né le 10 mars 1920 à Ville-d'Avray (Hauts-de-Seine), France. Décédé le 23 juin 1959 à Paris.
Personnage illustre d’après-guerre : ingénieur de l'École centrale, écrivain, inventeur, poète, parolier, chanteur

critique et musicien (jazz - trompettiste), scénariste, conférencier, traducteur (anglais/américain).

Il a également publié sous les pseudonymes de « Vernon Sullivan », « Bison Ravi », « Baron Visi » ou « Brisavion » (anagrammes de son nom).

Il est le second d’une famille de quatre enfants. Son père est rentier et sa mère musicienne amateur (pianiste / harpiste)

Après un parcours brillant, classes préparatoires et Ecole Centrale, toujours à Paris, il devient ingénieur à l’Association française de normalisation de 1942 à 1946. A ces moments libres, il compose et joue du jazz.

Il fréquente les cafés de la rive gauche (Saint-Germain des Prés) où les intellectuels et les artistiques viennent se retrouver.

Il y côtoie Jean-Paul Sartre ou Raymond Queneau.

Il écrit en 1946 son premier roman. Il le signe Vernon Sullivan. Il écrira ensuite d’autres romans aussi noirs et sarcastiques comme « Les morts ont tous la même peau » ou encore « Elles se rendent pas compte ».

Henri Salvador disait de lui : « Il était un amoureux du jazz, ne vivait que pour le jazz, n'entendait, ne s'exprimait qu'en jazz ». Il meurt d'une crise cardiaque en 1959 lors de la représentation cinématographique d'un de ses romans.

La complainte du Progrès

Composée en 1956, cette chanson est une critique humoristique de la société de consommation qui s’émancipe. Tout en gardant l’esprit drôle et moqueur, l’auteur aborde un sujet sérieux qui le laisse perplexe :
Le bonheur est-il lié au besoin matériel ? Une accumulation de biens conduit-elle au bonheur ? L’amour est-il dépendant de cette consommation incontrôlée ?

La réponse est dans les paroles dès les premiers vers : « autrefois pour faire sa cour, on parlait d’amour », ce qui sous-entend que c’est terminé (conjugué à l’imparfait).

Cette idée est confirmée par le deuxième vers : « pour mieux prouver son ardeur, on offrait son cœur », ce qui laisse entendre qu’avec l’essor de la consommation, cet acte est révolu.

En amour, on n’offre plus son cœur mais des biens matériels parfaitement inutiles qui ne compensent pas :
« des draps qui chauffent » car vous êtes bien seul. Votre solitude est telle que vous n’éprouvez même plus le plaisir de rentrer dans votre foyer : « le lit est toujours fait »...

Un excès de matériel ne conduit pas à l’amour, même les objets les plus modernes :
Une cuisinière avec un four en verre, qui résiste à la chaleur est une prouesse technologique en 1956. Un Dunlopillo est le matelas nouveau, multi-spires qui prétend détrôner l’éternel matelas de laine.
« Un avion pour deux », symbole extrême de la dépense, pour s’envoler vers le bonheur ?

Boris Vian insiste sur l’accumulation excessive et inutile :

« des tas de couverts » laisse sous-entendre qu’avec mille fois moins, c’était suffisant.

Des mots composés ou imaginaires accentuent cette sensation d’inutilité dans l’excès :

« le chauffe-savate, l’éventre-tomate, l’écorche-poulet, le canon à patates, le cire-godasses, le repasse-limaces, le tabouret à glace, l’efface-poussière » etc...

Ce procédé était très cher à l’auteur et se retrouve dans ses livres comme « L’écume des Jours ». Boris VIAN critique cette évolution de la société jusque dans les changements de mœurs :

Autrefois, quand on se disputait, on partait faire un tour mais on revenait « l’air lugubre » et le lien marital n’était pas rompu.

Avec l’essor matériel arrive les changements de comportement : maintenant c’est plus pareil, ça change, ça change. Après une dispute, on dit « rentre chez ta mère et on se garde tout ». Le mariage est facilement rompu car l’amour n’a jamais existé sous cette forme matérialiste. A la limite, il n’est plus nécessaire de se marier, pour pouvoir se séparer plus vite et recommencer « jusqu’à la prochaine fois ». Dans ces conditions, la notion de foyer, de famille, n’existe plus.

Par là-même l’auteur aborde le sujet sensible du rôle de la femme au foyer et son indépendance : si « on se garde tout », c’est que le mari estime pouvoir tout reprendre puisqu’en travaillant, il a pu offrir tout ça.

Insensiblement, l’auteur signifie que si la femme moderne veut s’émanciper, elle devra travailler au même titre que le mari pour gagner son indépendance matérielle. De cette façon, cela lui évitera de « rentrer » sans rien « chez sa mère » et de ne pas repartir de zéro...

On remarque également que la chanson progresse vers l'absurde. Les objets a acheter sont de plus en plus incohérents.

Sur le plan musical, Boris Vian utilise une mesure à 4 temps sur un tempo enlevé.

Les notes graves expriment par leur sonorité plus terne une certaine tristesse, des regrets

sur les dérives du monde moderne.

Cette instabilité qui mène aux incertitudes s’exprime aussi par des débuts de phrases qui commencent toujours sur les temps faibles de la mesure.

Malgré tout, l’ensemble reste ironique et sautillant, avec des introductions rythmées qui contrastent avec des phrases plus liées. Des ruptures franches sont utilisées pour briser le rythme, par l’utilisation de phrases proches du parlé-chanté :

« Ah ! Gudulle, viens m’embrasser et je te donnerai... » ou encore

« Ah ! Gudulle excuse-toi ou je reprends tout ça... »

La sensation d’accumulation d’objets inutiles est exprimée par l’utilisation systématique de cellules rythmiques multipliées et jouées sur une seule note comme « et des pelles à gâteaux », « et nous serons heureux » etc...

Le tout est complété avec élégance par les rimes plates, embrassées, l’effet de surprise par accumulation de vers et l’utilisation d’exclamations dans le texte.

Les sonorités restent proches du jazz, si cher au compositeur. (derapage entre l'air de la chanson et les paroles.

Autour du thème sur la société de consommation

Des écrivains, cinéastes et chanteurs s’y intéressent également.

Georges PEREC décrit les problèmes d’un couple qui pense dépasser ses problèmes en dépensant de plus en plus :

Le cinéaste Jacques TATI dans le film « Playtime » dénonce ce monde moderne, déshumanisé et vulgaire. Dans « Mon Oncle », TATI critique également l’homme et sa modernité.

Le chanteur Jean FERRAT dans « La Montagne », remet en question cet idéal indélicat auquel aspire l’homme d’aujourd’hui : la modernité

Nino FERRER dans « La maison près de la fontaine » critique ces dérives de la société moderne, prête à tout pour assouvir les achats et les folies du monde moderne :

Le dessinateur BINET montre toutes ces dérives ubuesques dans son album « Les bidochons n’arrêtent pas le progrès » avec des objets tels que « le repousse-chien », le « pousse-bouchon », les oreillers
« cervical » pour monsieur et « antirides » pour madame ou encore la « pincitoasts » etc...

Andy wahrol dénonce la société de consommation dans ses oeuvres: "Ten Lizes" et "32 Campbell Soups"

Tous ces objets sont plus inutiles les uns que les autres. Sont-ils nécessaires au bonheur ?

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