L'art Ne S'adresse T'il Qu'à Nos Sens ?
Dissertation : L'art Ne S'adresse T'il Qu'à Nos Sens ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar dissertation • 10 Mars 2012 • 1 842 Mots (8 Pages) • 6 038 Vues
L’art, entendu au sens des beaux-arts, renvoie à une puissance de production spécifiquement humaine qui se donne pour but de créer des objets destinés, semble-t-il, à s’offrir librement à notre perception. Contrairement aux objets de l’art humain en général, et notamment à ceux des arts mécaniques qui visent la production d’objets (qu’il s’agisse d’outils, d’instruments, de machines ou d’ensembles techniques) qui ne cherchent pas seulement à être perçus, mais se doivent de fonctionner, les produits des beaux-arts ne nous invitent pas tant à la connaissance de leur principe de fonctionnement qu’à la contemplation sensible de leur présence, de leur manière d’apparaître et de se livrer ainsi d’abord et avant tout à nos sens. On peut donc se demander si le caractère spécifique des beaux-arts ne consiste pas en la production d’objets qui ne s’adressent qu’à nos sens, et au plaisir proprement esthétique qu’ils suscitent en nous dès que nous les voyons, les entendons ou les touchons. Cependant, dire des beaux-arts qu’ils produisent ou visent à produire des oeuvres qui s’adressent de manière essentielle à nos sens suffit-il pour affirmer que l’art ne s’adresse qu’à nos sens ? La forme privative (« ne… que ») d’un tel énoncé ne risque-telle pas en effet de nous condamner à l’erreur, notamment en refusant aux produits des beaux-arts la possibilité d’éveiller et d’animer l’ensemble de nos facultés, intellectuelles aussi bien que sensibles, et ainsi de s’adresser en nous aussi bien à l’imagination, à l’intelligence et à la raison qu’à la sensibilité ? Examinons tout d’abord pour quelles raisons l’art peut sembler tout d’abord ne s’adresser qu’à nos sens. Si les oeuvres d’art semblent tout d’abord ne s’adresser qu’à nos sens, c’est en premier lieu parce qu’on ne saurait concevoir une oeuvre d’art qui ne se donne pas à nous sous la forme d’une réalité sensible, d’un composé de matière et de forme sensibles accessible à la perception ( sonore pour une oeuvre musicale, visuelle pour un tableau, à la fois sonore, visuelle et tactile dans le cas des arts plastiques, de la sculpture et de l’architecture, ou encore dans le cas d’oeuvres mettant en jeu plusieurs arts comme le théâtre, la danse ou l’opéra, ou aujourd’hui le film cinématographique). Mais plus encore peut-être que ce dont l’oeuvre d’art est faite, c’est le but visé par l’art qui permet, semble-t-il, le mieux de
soutenir qu’il ne s’adresse qu’à nos sens : l’oeuvre d’art n’est-elle pas en effet destinée en quelque sorte à susciter en nous un sentiment de plaisir esthétique, sentiment que l’on peut d’abord concevoir comme causé par un ensemble de sensations plaisantes et agréables aux sens à chaque fois sollicités ?
C’est ainsi par exemple que, dans un dialogue de Platon consacré à la recherche de la définition de la beauté, l’Hippias majeur, après avoir vu plusieurs de ses tentatives de définition du beau réfutées par Socrate, Hippias finit par proposer la définition suivante de la beauté : « Le beau… c’est l’agrément qui nous vient de l’ouïe et de la vue ». Mais l’apparente simplicité de la définition proposée par Hippias cache en réalité bien des difficultés, dont au moins ces deux principales : tout d’abord, comment rendre compte, en se fondant uniquement sur les sens, de ce qui leur plaît et de ce qui nous
plaît par leur moyen ou leur entremise ? Hippias dit que le beau, c’est ce qui plaît à la fois à la vue et à l’ouïe : mais comment est-ce possible ? Si ce qui plaît à la vue dépend exclusivement du sens de la vue et si un son agréable à entendre dépend exclusivement du sens de l’ouïe, ce n’est donc pas du tout pour les mêmes motifs (purement sensoriels) que quelque chose peut plaire à la fois à la vue et à l’ouïe, de façon générale à l’ensemble de nos sens. Le plaisir esthétique, même entendu comme simple attrait sensoriel, ne semble pas pouvoir être éclairé à partir des seules sensations reçues par chacun de nos sens. Il faut donc distinguer ici la perception de cette réalité sensible qu’est l’oeuvre d’art des simples sensations (visuelles, auditives, etc.) reçues par nos organes des sens : la perception ne renvoie pas en réalité dans le sujet à une sensibilité purement passive et réceptrice, mais à une perception active et réfléchie, capable non seulement de faire correspondre l’impression esthétique des différents sens, mais de les unir à l’ensemble de nos facultés, tant sensibles qu’intellectuelles. Cette union, au sein de la perception d’une oeuvre d’art, de la sensibilité et de l’intelligence, est d’autant plus requise que l’on peut mettre en évidence une seconde difficulté soulevée par l’idée selon laquelle l’art ne s’adresserait qu’à nos sens : que l’on prenne l’exemple d’une oeuvre littéraire ou musicale, d’un tableau, d’une sculpture ou d’un monument, d’un film ou d’un opéra, comment ne pas voir que ces oeuvres, bien que s’adressant à notre sensibilité, visent aussi à l’évidence à exprimer et à signifier
quelque chose, concernant la réalité de l’homme ou du monde et, par là même, invitent leur spectateur ou leur auditeur à penser, à réfléchir et à juger au moins autant qu’à percevoir et à sentir ?
Ce n’est donc ni la nature même de l’oeuvre d’art (qu’il serait réducteur de réduire à ses éléments purement matériels) ni celle du sujet qui la perçoit (dont on ne peut là encore réduire la sensibilité au seul fait d’être porteur d’organes sensoriels) qui peut réellement permettre de soutenir que l’art ne s’adresse qu’à nos sens. Et cependant, il est
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