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Diderot : texte est extrait de Supplément au Voyage de Bougainville,

Fiche : Diderot : texte est extrait de Supplément au Voyage de Bougainville,. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  16 Décembre 2021  •  Fiche  •  2 770 Mots (12 Pages)  •  597 Vues

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1                Puis s'adressant à Bougainville, il ajouta : " Et toi, chef des brigands qui t'obéissent,         

        écarte promptement ton vaisseau de notre rive : nous sommes innocents, nous sommes heureux ;         

        et tu ne peux que nuire à notre bonheur. Nous suivons le pur instinct de la nature ; et tu as tenté         d'effacer de nos âmes son caractère. Ici tout est à tous ; et tu nous as prêché je ne sais quelle

5        distinction du tien et du mien. Nos filles et nos femmes nous sont communes ; tu as partagé ce         privilège avec nous ; et tu es venu allumer en elles des fureurs inconnues. Elles sont devenues         

        folles dans tes bras ; tu es devenu féroce entre les leurs. Elles ont commencé à se haïr ; vous         

        vous êtes égorgés pour elles ; et elles nous sont revenues teintes de votre sang. Nous sommes         

        libres ; et voilà que tu as enfoui dans notre terre le titre de notre futur esclavage. 

10        Tu n'es ni un dieu, ni un démon : qui es-tu donc, pour faire des esclaves ? 0rou ! toi qui         

        entends la langue de ces hommes-là, dis-nous à tous, comme tu me l'as dit à moi-même, ce         

        qu'ils ont écrit sur cette lame de métal : Ce pays est à nous. Ce pays est à toi ! et pourquoi ?         

        parce que tu y as mis le pied ? Si un Taïtien débarquait un jour sur vos côtes, et qu'il gravât sur         

        une de vos pierres ou sur l'écorce d'un de vos arbres : Ce pays appartient aux habitants de

15        Taïti, qu'en penserais-tu ? Tu es le plus fort ! Et qu'est-ce que cela fait ? Lorsqu'on t'a enlevé         

        une des méprisables bagatelles dont ton bâtiment est rempli, tu t'es récrié, tu t'es vengé ; et         

        dans le même instant tu as projeté au fond de ton cœur le vol de toute une contrée ! Tu n'es pas         esclave : tu souffrirais plutôt la mort que de l'être, et tu veux nous asservir ! Tu crois donc que         

        le Taïtien ne sait pas défendre sa liberté et mourir ? Celui dont tu veux t'emparer comme de la

20        brute, le Taïtien est ton frère. Vous êtes deux enfants de la nature ; quel droit as-tu sur lui qu'il         

        n'ait pas sur toi ? Tu es venu ; nous sommes-nous jetés sur ta personne ? avons-nous pillé ton         vaisseau ? t'avons-nous saisi et exposé aux flèches de nos ennemis ? t'avons-nous associé dans         

        nos champs au travail de nos animaux ? Nous avons respecté notre image en toi. 


                                Denis Diderot, Supplément au voyage de Bougainville, 1772

INTRODUCTION

Diderot – philosophe français du XVIIIème siècle - « siècle des Lumières » - a produit une œuvre riche et variée à caractère philosophique. Notre texte est extrait de Supplément au Voyage de Bougainville, un ouvrage qui réagit à celui écrit par Bougainville après son retour de Tahiti. Diderot mène une réflexion sur la colonisation et sur la société européenne qu’il compare au peuple tahitien. Dans l’extrait qui nous intéresse, il donne la parole à un vieux tahitien.    

Problématique

Comment le texte condamne-t-il l’illégitimité et la barbarie

du comportement des Européens colonisateurs ?

Un premier passage, de la ligne 1 à 9, met en opposition le peuple tahitien et les européens puis le passage de la ligne 10 à 19 refuse la supériorité européenne pour finir dans un dernier passage, de la ligne 19 à 24, par en appeler à la fraternité et à l’égalité entre les hommes.

Remarque : la dernière phrase du 1er mouvement n’est pas à intégrer au 2ème mouvement même si elle aborde le thème de l’esclavage que l’on retrouve dans la 1ère phrase du 2ème mouvement. En effet nous y retrouvons cette construction caractéristique du 1er mouvement, «nous / et / tu », qui justifie son intégration au 1er mouvement. Elle est à considérer comme une phrase de transition qui fait le lien avec le 2ème mouvement en abordant le thème de l’esclavage. 

EXPLICATION LINEAIRE :

I) Mise en opposition du peuple tahitien et des européens (l.1 à 9) :

Intéresser le lecteur :

- Choix du récit fictif, plaisir du récit (passé simple « ajouta » l.1), argumentation indirecte.

- Choix du discours direct : plus vivant, plus de proximité avec le lecteur (présent d’énonciation, intimité avec le personnage).

Que dit ce passage ?

Ce dialogue met en présence deux individus mais il s’agit bien de la confrontation de deux peuples

Peuple tahitien

Européens

C’est le peuple tahitien qui est représenté par le vieillard (emploi de « nous », vieillard porte-parole)

L’adresse à Bougainville, « Et toi » (l.1) vise aussi les européens, la périphrase mise en apposition, « chef des brigands qui t’obéissent » associe à Bougainville tous ceux qui l’accompagnent.

Passage de « tu » à « vous » (l.7).

La confrontation des deux peuples passe par une énonciation très marquée (énonciation : qui parle à qui) : retour régulier des marques de la 2ème personne du singulier et du pluriel (« toi », « tu », « tes », « vous ») et des marques de la 1ère personne du pluriel (« nous », « notre », « nos »).

Eloge des tahitiens et blâme des européens

Eloge : vante les qualités, montre les points positifs

Blâme : montre les défauts, condamne

Eloge de la personne du tahitien :

Mythe du « bon sauvage » (depuis au moins le XVIème siècle avec Montaigne et développement au XVIIIème - idéalisation de l’homme à l’état de nature : l’homme naît naturellement bon et peut vivre heureux s’il suit les lois de la Nature). On retrouve cette image idéalisée : « innocents » et « heureux » (l.2), « bonheur » et « pur instinct de la nature » (l.3). Vie simple conforme à l’enseignement de la Nature. Le « bon sauvage » vit en harmonie avec les lois de la Nature. Innocence naturelle, originelle (renvoie à l’image de l’homme originel avant le péché originel, l’homme tel que Dieu l’a conçu d’autant que ces contrées lointaines et inaccessibles pour la très grande majorité des européens pouvaient renvoyer l’image du Paradis).

Eloge des mœurs tahitiennes : 

absence de propriété individuelle, « tout est à tous » (l.4), que ce soit matériellement ou au niveau des rapports entre les individus : « nos filles et nos femmes nous sont communes » (l.5). Cette particularité est donc présentée comme une loi naturelle puisque le tahitien vit selon les lois de la nature, en tant que telle, elle ne peut qu’être bonne ce que confirme l’emploi du mot mélioratif « privilège » (l.6).

Les tahitiens sont pacifistes, dans l’hospitalité et le partage : « tu as partagé (…) avec nous » (l.5 et 6)

Critique des colonisateurs implicite avec l’éloge du mode de vie sauvage qui fait souffrir de la comparaison les européens.

Blâme de la personne de l’européen :

« brigand » = voleur mais aussi sens général de mauvaise personne, l’européen est bien présenté comme tel puisqu’il viole les lois de la nature en dénaturant les tahitiens : « tu as tenté d’effacer de nos âmes son caractère » (l.3 et 4). On peut considérer que le texte fait remarquer en creux l’atteinte portée à Dieu : ce qui relie l’homme à Dieu est l’âme qui retourne à Dieu à la mort de l’homme contrairement au corps qui « devient poussière ». Dénaturer le tahitien en portant atteinte à son âme est donc un véritable sacrilège.

La société européenne du XVIIIème siècle est fortement marquée par la culture chrétienne, les lecteurs connaissent le contenu des textes sacrés et ne manquent pas de faire ces rapprochements.

Critique du modèle européen :

Importance de la propriété individuelle « tu nous as prêché je ne sais quelle distinction du tien et du mien » (l.4 et 5). « prêcher » appartient aussi au champ lexical de la religion (prêcher = enseigner la parole de Dieu), le choix du verbe dit le caractère sacré de la propriété pour la civilisation européenne.

Cette importance accordée à la propriété individuelle qui fait naître la jalousie et l’envie est une source de conflits : les femmes « revenues teintes de votre sang » (l.8), les colons se sont « égorgés pour elles » (l.8), ils se sont battus pour garder la possession d’une femme.

Champ lexical de la violence et du meurtre : « fureurs inconnues » (l.6),  « féroce » (l.7), « se haïr » (l.7), « égorgés » (l.8), « sang » (l.8).

Les Européens sont des êtres brutaux qui ont fait d’un paradis, un enfer.

Critique des colonisateurs explicite avec la mention des faits

En rappelant ce que les européens ont fait, le vieux tahitien dresse un véritable réquisitoire (exposé d’accusations contre quelqu’un)

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