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Pensez Vous Comme Du Bellay Que Le Poete Qui Chante Son Mal L'enchante

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Par   •  24 Novembre 2013  •  1 392 Mots (6 Pages)  •  3 270 Vues

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pensez vous commeressive et esthétique. Dans le sonnet XII des Regrets, Du Bellay « pleure » ses « ennuis » : « Si bien qu’en les chantant, souvent je les enchante ». En chantant son mal, le poète parvient-il à l’enchanter ? Nous présenterons d’abord la pérennité du mal malgré le chant, ensuite la dimension d’enchantement qui permet de le dépasser, pour terminer sur la mission de la poésie.

Hélas, le tourment du poète ne cesse pas au moyen de l’écriture de ses vers. Du Bellay lui-même, grand sonnettiste de la Pléiade au XVI°, intitule son recueil entier Les Regrets. Ces derniers n’ont pas cessé, la plainte pathétique et élégiaque serre le cœur de l’auteur qui se sent à Rome exilé, au point que le sonnet XII se termine par l’image du « prisonnier maudissant sa prison ». Quelque soit le soin de Musset ou d’Apollinaire écrivant « Les mie prigioni » ou « A la santé », ils n’en restent pas moins enfermés, purgeant leur peine jusqu’au bout. Leur souffle poétique ne leur permet pas de s’envoler à travers les barreaux. « Cachot », « triste », « ennui », « sinistre », le champ lexical du « désespoir » hante sans cesse le texte. Au point de se demander si, pour Apollinaire, le ressassement par les anaphores et les comparaisons avec un « ours » dans sa « fosse » ou l’allusion évangélique à « Lazare entrant dans sa tombe », ne creusent pas encore plus le champ du désespoir. Au lieu de la fuir, l’écriture redouble la peine.

Baudelaire aura beau cultiver Les Fleurs du mal, il y aura au bout du recueil plus de mal que de fleurs, plus de « spleen » que d’ « idéal ». Jusqu’à la dernière partie, « La mort », cette autobiographie poétique ensemence le terrain aride de la douleur avec une application qui parait peu thérapeutique, sinon masochiste, ancrant le destin du poète dans un mal qui est à la fois défaite personnelle et mal-être durable, cultivé jusqu’à la lie, sans issue. Sartre dira que Baudelaire avait mérité et recherché son malheur. Peut-être parce que, dans la tradition romantique, il n’y a pas de grande poésie sans mélancolie. « Les chants désespérés sont les chants les plus beaux » ajoute Musset.

En effet le mal et le malheur n’éteignent pas le chant. Ils le nourrissent ; au point qu’une secrète jouissance, une délectation assumée s’emparent du poète lorsqu’il compose. Le plaisir de Musset est tel qu’il affirme la supériorité esthétique de la douleur. Chanter est pour Du Bellay plus qu’un moyen d’expression, mais un bonheur sensible dans le rythme tournoyant des anaphores, des assonances et des allitérations, au point qu’il s’exalte et s’étourdisse comme un danseur ravi. Musset, dans « Le mie prigioni », n’est que brièvement incarcéré, mais il en profite pour apprécier maints détails : « les rayons de l’automne », « un réseau d’or », jusqu’aux « caricatures » des murs de son cachot qui « semblent des vers », tandis qu’Albertine Sarrazin veut s’ « évader dans les pavots », sommeil magique que seul le poème peut figurer.

Le mal est une réalité prosaïque, le chanter c’est lui donner la dimension de la poésie, c'est-à-dire, pour revenir au sens étymologique, d’une création, d’une œuvre d’art, qui doit perdurer au-delà de la douleur et au-delà de son auteur, par sa beauté, sa richesse expressive et intellectuelle. Ainsi, sachant cette fonction inévitable de la poésie, le poète fait plus que chanter son mal : il l’enchante.

C’est par l’enchantement, cette opération magique qui transmue la douleur en ravissement poétique transmissible que la poésie trouve son sens : « Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or. » disait Baudelaire. En nouvel Orphée, le poète qui offre une forme langagière, plastique et musicale à son mal, apaise ceux qui viennent l’écouter : animaux les plus féroces, dieux des Enfers qui lui permettront de retrouver son Eurydice à la condition que l’on sait. C’est avec « la harpe thracienne » (en fait la lyre d’Orphée) que Du Bellay, dans Les Antiquités de Rome, entreprend « De rebastir au compas de la plume / ce que les mains ne peuvent maçonner ». C’est donc par enchantement que les mots du poète reconstruisent le réel perdu et dressent à son mal un monument de guérison : « je calme, je console, je guéris, / je ressuscite la morte » annonce Michaux dans « Pourquoi faut-il que je compose ». Alors le lyrisme, ce chant sublime, a pour fonction de chanter, autant que d’enchanter, les sentiments personnels, mais ainsi universels.

Cependant, au-delà de ces lieux communs de la poésie que sont la plainte, la mélancolie et le chant des larmes, peut-être peut-on imaginer d’autres enchantements. La poésie parnassienne par exemple, qui, s’opposant au romantisme, veut évacuer sentimentalisme et émotion larmoyante, avec ses vers sculptés dans le marbre de la langue, son culte de « l’art pour l’art » : « L’art robuste / Seul a l’éternité » affirme Théophile Gautier, dans son recueil Emaux et camées. Théodore de Banville lui répond dans ses Odelettes : « Le poète oiseleur / Manie / L’outil du ciseleur » sur « Un métal au cœur dur ». La poésie est sculpture, elle n’enchante que l’art, au-dessus des vaines agitations du mal, humain, trop humain, « belle comme un rêve de

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