Un exemple de l'apprentissage précoce de l'ordre sexué

Nicolas Murcier

Sociologue

DySoLab, Laboratoire des dynamiques sociales, EA 7476 - Université de Rouen Normandie

Membre de l'équipe de recherche MIXPRIM

Cadre pédagogique - IRTS Poitou-Charentes

Un exemple de l'apprentissage précoce de l'ordre sexué

De nombreuses recherches ont mis en évidence l’influence de l’environnement social dans la socialisation des jeunes enfants (Coulon et Cresson, 2006 ; Mosconi, 2003 ; Murcier, 2012). Elles rendent compte notamment des processus conduisant ces derniers à adopter dès le plus jeune âge des rôles sexués. Cela correspond au fait que les enfants, filles et garçons, se conforment à ce qu’ils perçoivent être attendu d'eux de manière explicite ou implicite. Comme le souligne Marie Duru-Bellat, (2005, p. 87) « [les enfants] s’efforç[ent] de devenir ce qu'on [leur] demande plus ou moins explicitement d'être ».

Les transformations de la société française depuis les années 1960 ont permis une réduction des inégalités entre les femmes et les hommes. Cependant, force est de constater le maintien d’inégalités et la persistance des assignations à revêtir des rôles sexués. On constate que les représentations sociales du féminin et du masculin se maintiennent durablement, conduisant les un.e.s et les autres à adopter des comportements, des attitudes conformes aux attentes sociales. Ces assignations « puise[nt leur] force de persuasion de manière constamment renouvelée dans la multitude des situations de la vie quotidienne immédiatement comprises comme autant de preuves spontanées d'un ordre sexué indépassable » (Devineau, 2014, p. 11).

Les contenus de la socialisation proposés aux jeunes enfants – filles et garçons –, au sein tant de la famille que des établissements d'accueil du jeune enfant (EAJE), participent activement à l’intériorisation de manières de faire, de se comporter, de penser, en adéquation avec les attentes sociales à l’adresse des filles et des garçons. Les observations réalisées en crèche, dans le cadre d'une recherche doctorale, mettent en évidence que les jeunes enfants ne se voient pas proposer le même matériel ou ne sont pas incités, de manière explicite ou implicite, à utiliser les mêmes supports de jeu (Murcier, 2012), ne reçoivent pas les mêmes compliments (l'apparence est valorisée pour les filles alors que la force l'est pour les garçons). Cette socialisation différenciée proposée dès le plus jeune âge est problématique en ce qu’elle ne permet pas le développement des mêmes compétences, n'ouvre pas le même champ des possibles. Le critère mobilisé dans la mise à disposition du matériel ludique aux filles et aux garçons comme dans les remarques dont ils.elles sont l'objet n’est pas leur centre d’intérêt mais leur genre (Mosconi, 2003). Les sentiments exprimés par les jeunes enfants sont également appréhendés par les adultes au prisme hétéro-normatif^[1].

Il arrive fréquemment que les jeunes enfants disent être amoureux d’un pair.

Aujourd'hui, l'éducatrice de jeunes enfants et une auxiliaire de puériculture sortent avec quatre enfants de la grande section de la crèche. Lors du trajet à pieds pour se rendre à la médiathèque, je suis témoin d’une interaction entre Louis (3 ans) et Lucie (éducatrice de jeunes enfants). Alors que l'éducatrice de jeunes enfants lui demande comment il va, le petit garçon dit qu'il est amoureux de Antoine (un autre petit garçon de 3 ans de la même section avec lequel Louis joue et est souvent en interaction). L'éducatrice de jeunes enfants lui répond qu'il ne peut être amoureux d'un petit garçon » (extrait du journal de bord de terrain, novembre 2018).

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