Qu'est ce que bien parler ?

d’Hauteville Juliette

Groupe PLONGÉE

QUESTION DE REFLEXION LITTÉRAIRE

Selon vous, qu’est-ce que bien parler ?

        Selon vous, qu’est ce que bien parler ? Par définition, bien parler est un art. Un art qui s’apprends, qui se maitrise. L’art de bien savoir s’exprimer,  d’une expression non seulement juste et élégante, mais efficace. Efficace car capable de produire émotions, sensations, réflexion, prise de conscience, de pousser a l’action, de faire changer d’avis ; en quelques sorte, maitriser la parole, savoir bien parler, c’est maitriser, contrôler la personne a qui elle s’adresse, maitriser son interlocuteur. Elle est caractérisée par une ambivalence, comme dit Aristote, philosophe de l’Antiquité, dans la Rhétorique, « usé a des fins injustes ce discours peut nuire gravement » mais « cet inconvénient est commun à tous les biens », il va donc de même pour tout concept, comme vous et moi par exemple. Nous verrons comment se définit l’art de bien parler, en explorant d’abord comment il se fonde et ses bienfaits, puis ses dérives dangereuses, et ses limites.

        Bien parler, c’est tout d’abord maitriser les taches de l’orateur. Selon Cicéron, homme d’État romain et brillant orateur du 106s av JC, un discours structuré ne suffit pas à qualifier un orateur d’éloquent : la tache est selon lui beaucoup plus complexe. Bien parler s’acquiert, se maitrise, se travaille en suivant des étapes qu’il nous précise. L’orateur doit d’abord déterminer le contenu de sa parole par « l’inventio » de ses arguments, et les organiser dans une étape de dispositio, qui structure le discours : l’exorde capte la bienveillance de l’auditoire, la narration annonce la thèse, soutenue par une argumentation solide. Une etape de réfutation est facultative, où l’orateur anticipe les objections qui pourraient lui être faites, et les déconstruit. Il doit ensuite clore son discours par une conclusion vibrante, la péroraison.  L’efficacité rhétorique est en partie dépendante du style, veiller à la qualité formelle de sa parole constitue donc une dimension fondamentale de l’éloquence : comment l’orateur mets en geste et en voix sa parole, et l’orne d’un style plus ou moins touffu et complexe selon l’esprit de l’auditoire. Dans l’acte 2 scene 4 de Dom Juan par exemple, ce dernier adapte son niveau de langue à celui d’une paysanne, afin de ne pas paraître trop pompeux, mais tout en maintenant une certaine superiorité, afin que cette derniere se sente socialement élevée par l’interet qu’un noble lui porterais. Aristote insiste sur la nécessité d’exciter les passions de l’auditoire pour le persuader, i faut pouvoir autant prendre l’interlocuteur par les sentiments, le subjuguer et lui transmettre des émotions, tant que l’instruire et le convaincre par la logique.

        C’est ainsi que bien parler permet de faire bouger les lignes de la société. Robert Badinter, avocat, professeur de droit et homme politique, est l’« emblème du pouvoir de la parole triomphant sur la force, de l’éloquence contre les armes ». En effet, son discours du 17 septembre 1981, tenu devant l’Assemblé Nationale pour l’abolition de la peine de mort, témoigne des pouvoirs de la parole, et de ce que bien parler veut réellement dire. On y retrouve toutes les étapes qui assurent l’efficacité de son discours : une exorde adressée à son public qui rappelle les enjeux du discours au vu du cadre politique, puis la narration, composée d’un rappel historique sur la peine de mort. Son argumentation repose sur une démarche autant autant convaincante que persuasive, énonçant une vérité générale et s’appuyant sur des exemples a la fois législatifs et rationnels. Il clos son discours par une péroraison où il rappelle les arguments, puis se tourne vers le futur appelant a la sensibilité de son public. Le 18 septembre 1981, l’abolition de la peine de mort est votée à l'Assemblée nationale, témoignant de l’efficacité rhétorique de son discours. Nous pourrions citer de nombreux autres discours qui démontrent le pouvoir que l’on détient lorsque l’on sait bien parler, par exemple celui porté par Simone Veil le 26 novembre 1974 à l’Assemblée Nationale pour l’avortement, suite auquel l’avortement fut légalisé.

        Bien parler permet de bouleverser les inégalités sociales, et de deconstruire les prejuges. Le bon maniement de la parole est associé a une classe sociale eleve, un niveau d’instruction et d’education superieur. Le maitriser peut permettre de deconstruire ces prejuges, comme le personnage de Neila Salah le démontre si bien dans le film Le Brio, réalisé en 2017 par Yvan Attal. Jeune fille des quartiers de Créteil, elle intègre l’université Panthéon-Assas avec pour ambition de devenir avocate au barreau de Paris. Elle est rapidement confrontée a un gouffre de classe social entre elle et ses camarades de classe, et en particulier par un professeur, Pierre Mazart, connu pour ses provocations racistes, et ses méthodes problématiques, bien que pilier de l’excellence. Par sa bonne maitrise de la parole, il la ridiculise, et l’humilie devant son auditoire, en se moquant son apparence de « banlieusarde », et son nom. Au vu de ses paroles provocatrices, Pierre risque de se faire renvoyer, et est contraint de préparer Neïla à un prestigieux concours d’éloquence afin de donner l’allure de diversité et mixité sociale entre les étudiants de l’université. Les deux personnages vont au fur et a mesure réussir a briser la barrière sociale et générationnelle qui les séparait, pour finalement  s’apprécier grâce au pouvoir des mots. Suite a une préparation intense et exigeante, au cours de laquelle Pierre transmets  à Neila tout son savoir faire sur la maitrise de la parole, cette dernière remporte le concours. Grâce à cet art de l’éloquence, les idées reçues sont démontées une à une au fur et à mesure, et on la voit des années plus tard en robe d’avocate, donnant a son tour des instructions à son client pour s’en sortir devant la justice : parler un langage plus soutenu et remplacer ses vêtements de sports par un costume.

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