Kant, Qu’est-ce que les Lumières ?
Commentaire de texte : Kant, Qu’est-ce que les Lumières ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar lele007 • 26 Décembre 2021 • Commentaire de texte • 5 626 Mots (23 Pages) • 958 Vues
Exemple de commentaire de texte rédigé
« Paresse et lâcheté sont les causes qui expliquent qu'un si grand nombre d'hommes, alors que la nature les a affranchis depuis longtemps de toute tutelle étrangère (naturaliter maiorennes) , restent cependant volontiers, leur vie durant, mineurs; et qu'il soit si facile à d'autres de les diriger. Il est si commode d'être mineur. Si j'ai un livre pour me tenir lieu d'entendement, un directeur pour ma conscience, un médecin pour mon régime... je n'ai pas besoin de me fatiguer moi-même. Je n'ai pas besoin de penser, pourvu que je puisse payer; d'autres se chargeront à ma place de ce travail fastidieux. Et si la plupart des hommes (et parmi eux le sexe faible en entier) finit par considérer comme dangereux le pas - en soi pénible - qui conduit à la majorité, c'est que s'emploient à une telle conception leurs bienveillants tuteurs, ceux-là mêmes qui se chargent de les surveiller. Après avoir rendu stupide le bétail domestique et soigneusement pris garde que ces paisibles créatures ne puissent faire un pas hors du parc où ils les ont enfermés, ils leur montrent ensuite le danger qu'il y aurait à marcher seuls. Or le danger n'est sans doute pas si grand, car après quelques chutes ils finiraient bien par apprendre à marcher, mais de tels accidents rendent timorés et font généralement reculer devant toute nouvelle tentative. »
Kant, Qu’est-ce que les Lumières, §2
- Introduction
(amorce)Si l’opinion est dangereuse, ce n’est pas seulement parce qu’elle est incapable de rendre raison d’elle-même et de justifier par là même ce qu’elle prétend pouvoir affirmer ; mais encore et surtout parce que, dans l’ignorance d’elle-même, elle se donne pour un jugement réfléchi, nous maintenant ainsi dans l’illusion du savoir.
(problème que tente de résoudre le texte)Reste à comprendre alors pourquoi, au lieu de penser par nous-même, au lieu de faire usage de notre entendement, nous n’exerçons pas notre liberté : s’agit-il d’un défaut d’entendement par où certains se montreraient incapables de penser par soi, de telle sorte qu’il faille accuser la nécessité naturelle ? S’agit-il d’une contrainte exercée par un autre, de telle sorte que je ne puisse jamais penser par moi-même là où règnerait la soumission dans l’ordre politique ? Ou bien n’est-ce pas tout au contraire le fruit d’un renoncement volontaire à la liberté ?
(thèse de l’auteur)La réponse de Kant est claire ici : il ne faut pas chercher ailleurs que dans la faiblesse de la volonté la cause de la « minorité », c’est-à-dire de l’incapacité de se servir de son entendement sans être dirigé par un autre ; pas plus que la nature ne peut me servir d’excuse puisque c’est elle qui, une fois passée l’enfance, me donne le moyen de disposer de moi-même en rendant inutile une direction étrangère (en clair, la liberté est le but naturel de l’éducation, nécessaire au développement des facultés et superflue dès lors que celles-ci peuvent s’exercer d’elles-mêmes), aucune contrainte extérieure ne peut également justifier ma soumission, puisque c’est de plein gré que le mineur se place sous la tutelle d’un autre qui tire profit de sa faiblesse. La minorité dont il est question ici n’est donc ni naturelle ni juridique : c’est un état librement choisi, qui coïncide avec une soumission morale et intellectuelle.
(argumentation et découpe du texte)Aussi comprend-on pourquoi, si les causes de la minorité ne sont ni la nécessité naturelle ni la contrainte extérieure mais « la paresse et la lâcheté » (ligne x à y) , la tutelle peut apparaître comme une double commodité, et pour le mineur qui s’épargne par elle l’effort de penser par soi, et pour le tuteur qui gagne par elle une emprise aussi aisément acquise qu’elle est durable si le tuteur la renforce à son tour (ligne y à z) ; la dernière partie du texte vise donc à éclaircir le rapport dialectique qui lie le mineur au tuteur : si le second est investi par le premier à cause même de sa « paresse », c’est lui qui réciproquement maintient son emprise en faisant apparaître le pas vers la majorité comme un terrible danger que la « lâcheté » du mineur achèvera de se représenter comme insurmontable.
(pb que soulève le texte)On voit bien ici tout l’enjeu du texte qui n’est rien d’autre que celui de la possibilité des Lumières : suffit-il de vouloir se libérer de la tutelle pour parvenir à la majorité, dans la mesure même où la tutelle semble empêcher la constitution d’une résolution suffisante pour la détruire ? Comment la libération est-elle possible et du même coup l’accès à la majorité : s’il n’y a de tuteur que par un mineur et réciproquement, alors la liberté de pensée n’exige-t-elle pas plus qu’un acte volontaire interne au sujet, mais des conditions politiques externes qui garantissent la possibilité d’une véritable émancipation ?
- Développement
- Première partie
La première phrase du texte est claire : il s’agit bien ici d’indiquer les causes de la minorité, c’est-à-dire de l’incapacité à user librement de ses facultés, et du même coup d’écarter la thèse d’une causalité extérieure à la volonté même du sujet, qu’il pourrait faire valoir pour se décharger de sa responsabilité : « La paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu’un si grand nombre d’hommes, alors que la nature les a affranchis depuis longtemps de toute direction étrangère, restent cependant volontiers, leur vie durant, mineurs » En avançant que la minorité n’a pas d’autres causes que « la paresse et la lâcheté », Kant dit plusieurs choses : d’une part que la minorité découle de la seule faiblesse de la volonté ; d’autre part qu’elle ne se définit même que par cela, dans la mesure où le concept de « minorité », emprunté au vocabulaire juridique traditionnel, devra dès lors qu’il est renvoyé à un état volontaire, subir une mutation sémantique qui en fait toute l’originalité ; enfin que n’étant pas imputable à autre chose qu’à soi, c’est-à-dire à une incapacité naturelle ou à une incapacité juridique, elle doit a priori pouvoir trouver un remède dans la volonté même du sujet.
Que sont en effet « la paresse » et la « lâcheté » : des passions, ou encore dans le vocabulaire kantien, des « inclinations pathologiques » par où la volonté se laisse conduire ou lieu de se gouverner soi-même ; qu’ont-elles en commun : une forme de défaillance, de faiblesse, si l’on considère que la paresse est répugnance à l’effort, et la lâcheté absence de courage. A première vue, pourtant, si la paresse et la lâcheté sont toutes deux des passions, elles relèvent de l’involontaire et mieux encore du pouvoir de détermination de la nature en moi par l’intermédiaire de la sensibilité ; or, en me donnant la raison, la nature m’a aussi donné une faculté capable d’opposer à la force des passions la force du devoir ; je ne peux pas accuser la nature de m’avoir fait paresseux et lâche, parce que j’ai en moi la faculté de m’obliger moi-même, ou encore de me gouverner sans être dirigé par un autre : or, cet autre ce n’est pas seulement une autre personne, mais l’autre que représente plus largement tout ce qui ne relève pas de ma volonté. Si la liberté n’était pas rendue possible par la nature, il n’y aurait pas de sens à montrer et à déplorer le caractère volontaire de la minorité : aussi faut-il distinguer l’incapacité où nous sommes d’abord de nous conduire par nous-mêmes et qui qualifie l’état même de l’enfance, de celle où nous plaçons volontairement lorsque nous sommes devenus aptes , au sortir de l’enfance, à faire un libre usage de notre entendement ; s’il y a une minorité naturelle, qui rend nécessaire l’éducation, et du même coup la protection juridique ( car le mineur est aussi bien sous l’angle du droit, celui dont l’adulte a la responsabilité) , elle n’est pas la minorité volontaire dont il est question ici, et dont nous sommes pleinement responsables, comme l’atteste l’adverbe « volontiers ». Autrement dit, la minorité est l’état dans lequel nous choisissons de nous maintenir alors même que nous serions capables d’en sortir à l’âge adulte.
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