Le grotesque dans la vie et demi de Sony Labou TAMSI et Le Pleurer-Rire d'Henri Lopes
Dissertation : Le grotesque dans la vie et demi de Sony Labou TAMSI et Le Pleurer-Rire d'Henri Lopes. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Queva • 5 Février 2020 • Dissertation • 39 003 Mots (157 Pages) • 1 782 Vues
INTRODUCTION
L’avènement des indépendances vers les années 1960, marquant la fin d’un demi-siècle d’impérialisme et de la domination coloniale, avait suscité beaucoup d’optimisme et d’enthousiasme chez les peuples africains. En effet, les indépendances devraient apporter la liberté, la sécurité, le progrès, l’unité et la paix. Cependant, moins d’un siècle après la proclamation des indépendances, c’est l’échec de la démocratie et la montée de la tyrannie ou du despotisme qui est la triste réalité des États africains gouvernés par des régimes armés. En plus, la rupture avec le colonisateur n’est pas véritablement consommée. Ce dernier est fortement présent dans les affaires politiques des jeunes États ; soutenant le maintien au pouvoir des régimes dictatoriaux ou impulsant des soulèvements populaires et des rébellions dans le but de conserver sa domination et son hégémonie. Il s’ensuit alors des coups d’État répétitifs et des élections truquées déstabilisant l’ensemble des projets socioéconomique et plongeant les pays africains dans des guerres intestines. Par conséquent, de nombreux Etats de l’Afrique noire s’enlisent dans la pauvreté avec une production alimentaire très inférieure à satisfaire les besoins des populations. Les systèmes de santé s’effondrent et les Etats se trouvent confrontés aux épidémies et d’autres maladies affreuses. Ainsi, quelques années après la colonisation, le constat est amer : le continent africain reste le théâtre de violence, d’atrocité et d’absurdité de tous genres.
Cette nouvelle réalité va servir de matière à écrire à l’ensemble des productions littéraire de nos jours. Passée de la phase de lutte anticoloniale, la littérature africaine se caractérise, aujourd’hui, par une tendance que Lilyan Kesteloot nomme « celle de l’absurde et du chaos africain »[1]. Jacques Chevrier écrit à juste titre :
Maintenant que le grand souffle épique et lyrique des années immédiatement contemporaines de l’indépendance est retombé, il faut bien constater que la période comprise entre 1960 et nos jours a engendré, pour l’essentiel, une littérature de désenchantement et de désillusion. […] les auteurs francophones ont entrepris de dresser à leur tour, et à des degrés divers, un réquisitoire sévère et une satire acerbe à l’encontre des mœurs politiques de l’Afrique contemporaine. Corruption, népotisme, vénalité, despotisme des dirigeants et de leurs complices y sont dénoncés sans ambages[2]
L’ensemble des œuvres produit depuis l’avènement des indépendances s’inscrit donc dans la dénonciation des abus politiques, la décadence de l’homme africain et les conditions sociales dégradantes. C’est dans cette période qu’émergent les œuvres d’Henri Lopes et de Sony Labou Tansi dont les écrits ont d’ailleurs été qualifiés par Jean Michel Devesa, « d’écrivain de la honte et des rives du fleuve Kongo »[3]
Se voulant porte-parole de la masse publique en dénonçant les errements des dirigeants, ces auteurs s’exposent aux répressions et à la censure. Alors, pour échapper à la censure et à la foudre des régimes totalitaires, ils vont opter pour des techniques d’écriture particulière. En effet, l’écriture d’Henri Lopes et de Sony Labou Tansi se caractérise par son penchant vers le désordre, le mélange, l’hybridité etc. Les deux auteurs ont en commun le goût pour le satirique, la dérision, l’ironie, le grotesque. Ce travail a pour objet d’analyser l’usage du grotesque comme style d’écriture dans l’œuvre des auteurs précités. Il s’agit de comprendre également comment, dans leur volonté d’exposer les errements des régimes dictatoriaux installés à la tête des États africains après le départ des colons, les deux auteurs utilisent des techniques d’écriture nouvelle qui déstabilisent les formes classiques.
La question du grotesque en littérature africaine à fait l’objet de quelques travaux scientifiques qu’il convient de passer en revue afin de mieux déterminer l’originalité de ce travail. Les ouvrages scientifiques portant sur la question du grotesque dans le roman africain sont moindre. Néanmoins, on retient, lorsqu’on évoque la question du grotesque dans la littérature africaine, l’ouvrage collectif, Le grotesque en littérature africaine, codirigé par REMI ASTRUC et PIERRE HALEN. Cet ouvrage de treize articles représente les regards croisés sur les manifestations du grotesque dans la littérature africain, perspective élaboré initialement lors d’un colloque international tenu à Nancy. En fait, depuis son entrée fulgurante dans le monde de la renaissance européenne, le grotesque, thème utilisé primitivement dans les beaux-arts, c’est orné par mutation successive, de contours plurivalents applicables à maints domaines artistiques dont la littérature. C’est sur la base de ce constat que se fonde cet ouvrage pour analyser les différentes formes de représentation du grotesque dans la littérature africaine. En Afrique par exemple, la littérature orale macabre, l’irruption du surnaturel dans l’art réaliste, les créations fabuleuses fusionnant bêtes et plantes, les surnaturels et les mascarades sont autant de productions artistiques appartenant au grotesque. De ce point de vue l’ouvrage atteste l’existence du grotesque dans la culture et la civilisation africaine avant même l’arrivé de la littérature écrite en Afrique. Ainsi, précoloniale, anticoloniale, néocoloniale ou postcoloniale la littérature africaine est inféodée à la fortune du grotesque. Au demeurant, les contributions de ce volume confortent dans leurs analyses les éléments grotesque (chute, renversement, extravagance, choc, tyrannie dérèglement) repérables dans la littérature africaine. En plus, étant donnée la fonctionnalité de l’art africain et l’engagement sociopolitique des écrivains africains, les treize critiques soutiennent que la littérature africaine assigne au grotesque une vocation politique, une orientation transgressive visant l’amélioration de la communauté.
Partant du constat paradoxale selon lequel le mensonge artistique articule la vérité, Effoh Clément Ehora, se fixe pour objectif d’évaluer la place du grotesque « entendue comme un mode comique modelant les traits jusqu'à les rendent étrange ridicule et grimassent »[4] dans la peinture de la dictature caricaturale des dictateurs africains. Sous sa plume, le « réalisme grotesque » bakhtinien vient à l’aide de la vraisemblance pour illustrer l’amplification du négatif inhérente à la représentation exagérée mais crédible d’une horde impressionnante de dictateurs sanguinaires fictionnels ayant pour sosies des ogres tyranniques référentiels. Fidel a l’esthétique moralisatrice des contes africains qui renforcent la victoire des faibles sur les puissants, le tableau grotesque des régimes autocratiques dans le corpus véhicule la chute de ces derniers. Par-delà ce renversement carnavalesque comme dans le conte et son versant fusionnel contemporain, Ehora voit dans ces deux formes l’expression artistique d’autres points de convergence : déploiement de la merveilleuse coexistence des univers humains et non humains, côtoiement des sphères visibles et invisibles le tout consacrant une certaine vision africaine syncrétiste du monde ou l’irréel ne cohabite pas seulement avec le réel mais l’exprime. Apres l’analyse des ouvrages critiques ayant abordés la question du grotesque dans la littérature africaine penchons-nous à présent sur les différentes modalités qui nous permettrons de mieux appréhender ce travail.
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