La place des mémoires dans l´écriture de l´histoire de la guerre d´Algérie (1954-1962)
Dissertation : La place des mémoires dans l´écriture de l´histoire de la guerre d´Algérie (1954-1962). Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Corinne Cazes • 5 Février 2018 • Dissertation • 3 203 Mots (13 Pages) • 668 Vues
La place des mémoires dans l´écriture de l´histoire de
la guerre d´Algérie (1954-1962)
ESSAI
Peut-on faire l´histoire de la guerre d´Algérie? Et comment ? Si l´on en croit Pierre Chaunu, “la guerre donne le temps fort, le vrai temps, le temps peuplé de vrais évènements: C´est lui qui accroche le reste de la durée, la durée molle des avants et des après-guerres”[1]. Aucune hésitation n´est donc permise: si faire l´Histoire, c´est faire l´histoire de la guerre, alors il est non seulement possible mais encore impératif de faire celle de la guerre d´Algérie. Or, les mémoires de ce conflit, au cours duquel les appelés du contingent français furent envoyés combattre pendant près de huit ans les Algériens réclamant l´indépendance de leur pays, ont longtemps été tronquées, occultées, voire confisquées par l´Etat comme par les sociétés des deux côtés de la Méditerranée.
On le sait, les outils au service de l´historien pour interroger le passé sont divers. En l´occurrence, les documents sur la guerre d´Algérie sont nombreux et proviennent de sources très variées : photographies, vidéos, rapports ministériels, textes officiels[2], archives de l´armée, de la justice, de la police, et bien sûr témoignages, écrits ou oraux qui foisonnent depuis les années 1990 après des décennies de silence ou de déformation.
L'argument pour lequel nous souhaitons plaider dans cet essai est celui d‘un double devoir face à une guerre encore récente mais longtemps tue (par les Français) ou confisquée et glorifiée (par le pouvoir algérien) : devoir de mémoire, mais aussi travail de l’historien sur les mémoires. A cet égard, nous montrerons tout d’abord, qu’en Algérie comme en France, le récit officiel ou l’absence de récit officiel ont longtemps confisqué la mémoire de la guerre. Aussi, est-il non seulement bienvenu mais absolument nécessaire d’encourager les témoignages qui émergent depuis le début des années 1990, ce que nous montrerons dans une deuxième partie. Mais, la mémoire n’étant pas l’histoire, nous défendrons enfin l’idée que de nouvelles générations d’historiens doivent poursuivre le travail de leurs aînés pour mener à une meilleure compréhension d’un conflit traumatisant dont la portée se mesure jusqu’à nos jours.
- Faire l’Histoire de la guerre d’Algérie, c’est questionner les récits officiels longtemps partiaux et partiels des deux pays impliqués : la place de la mémoire de la guerre d´Algérie
Nous voulons ici nous pencher sur la manière dont les Etats et les sociétés construisent la mémoire de leur passé en fonction de leurs préoccupations du présent. En cela, nous abondons dans le sens des travaux de Benjamin Stora[3] ayant dénoncé le silence français d’une part et la confiscation de la mémoire par le régime autoritaire algérien au pouvoir au lendemain de l’indépendance d’autre part.
- En France : une mémoire longtemps occultée
De la fin du conflit aux années 1990, le rapport de l´État et de la société à cette “guerre sans nom” relève de l´évitement et du déni. Il est, par exemple, très signifiant que la loi d´amnistie[4] ait été votée en France dès 1962, l’année même des Accords d´Evian de cessez-le-feu. La volonté de tourner la page très vite est évidente. Et il faut attendre 1999 pour que le Parlement mette fin à l´expression “évènements d´Algérie” et reconnaisse enfin que l´armée française a bel et bien été en guerre en Algérie.
Il ne fait aucun doute que le contexte politique et social français est la cause de cette longue occultation.
Déjà, la guerre se termine par une défaite pour la France qui met ainsi un terme à son aventure coloniale. Perdant définitivement son statut de grande puissance coloniale, elle se tourne vers une nouvelle aventure porteuse d’espoir, celle de la construction du projet européen.
De plus, la guerre a provoqué des déchirements et affrontements violents entre les Français partisans de l’Algérie française (soutiens de l’OAS) et ceux partisans de l’indépendance (soutiens du FLN) au nom du droit des peuples à disposer d´eux-mêmes. Ces affrontements ont eu des retentissements jusqu´en métropole avec des attentats et la chute de la IVème République. Après huit années de guerre, la société tourne la page de la colonisation de l’Algérie probablement par lassitude, comme le montre par exemple le désintérêt du public pour les films consacrés au conflit[5]…à l´opposé exact de ce à quoi on assiste plus tard aux Etats-Unis avec la guerre du Vietnam ou plus récemment encore avec la guerre en Irak[6]. Comme l’a montré l’historien Guy Pervillé, les gouvernements successifs n’ont de cesse de réconcilier les Français entre eux[7]. C’est ainsi, par exemple, que la dernière loi d´amnistie date de 1982[8], le président socialiste François Mitterrand, alors depuis peu au pouvoir, déclarant : “il appartient à la nation de pardonner”.
Enfin, bien sûr, n´oublions pas de rappeler que cette guerre est le triste théâtre de nombreuses violations des droits de l´Homme de la part de la police, de la justice et de l´armée… couvertes par les gouvernements successifs à la tête du pays. On ne comprend que mieux le silence délibéré de la France au lendemain d’évènements aussi condamnables et sa volonté de passer à autre chose…
- En Algérie, une mémoire héroïque et confisquée
La fabrication d´un récit héroïque[9] de la guerre par l´Etat algérien ne fait pas moins de doute que l´occultation de celle-ci par l´Etat français. Là aussi, l´explication relève d´un enjeu politique : légitimer son pouvoir.
En Algérie, la guerre est officiellement dénommée “Guerre de libération nationale” et elle est largement commémorée. Le pouvoir impose sa vision des évènements et efface de la mémoire officielle le rôle d´autres courants nationalistes (comme les messalistes) pour se maintenir au pouvoir. Son message est clair, bien que tronqué : le FLN revendiquant pour lui seul le rôle de champion de la cause indépendantiste algérienne durant la guerre, il faut continuer à lui obéir. La mémoire est donc contrôlée et entièrement confisquée par le pouvoir.
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