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Les Fausses Confidences

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Par   •  10 Avril 2022  •  Dissertation  •  3 322 Mots (14 Pages)  •  641 Vues

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Dissertation de Littérature du XVIIIe siècle

Sujet : « C’est par la fiction qu’on exclut le fictif et c’’est pour mieux apparaître que le romancier se dissimule. » Jean Rousset, Forme et Signification

Introduction

        Avec un goût prononcé pour le paradoxe, Jean Rousset écrit, dans Forme et Signification, le propos suivant : « C’est par la fiction qu’on exclut le fictif et c’est pour mieux apparaître que le romancier se dissimule. » Dans cette phrase au rythme binaire, Jean Rousset pose la question du rapport entre l’œuvre et le réel, sous la double problématique de la fiction et de son auteur. Dans un premier moment, délimité par la première proposition, nous pouvons lire une quasi contradiction, mettant en rapport « fiction » et « fictif » : la « fiction » « exclut le fictif », le mensonge interdit de mentir. La variation lexicale entre les deux termes de « fiction » et de « fictif » nous met sur la voie de l’interprétation : le substantif désignant l’essence et l’adjectif l’attribut, nous comprenons alors que le mensonge pur « exclut », c’est-à-dire s’affranchit de tous les attributs de la fiction, et se fait donc le clone même du réel. Il faut ainsi « mentir à fond », comme dit Marthe Robert, afin de se donner tous les caractères de la vérité. Dans un second moment, qui correspond à la seconde proposition, nous lisons que le « romancier », donc l’écrivain, « se dissimule » hors de son œuvre pour, paradoxalement, mieux y « apparaître » comme son artisan. Ainsi que le suggère le préfixe privatif dis–, la démarche de l’auteur consiste à s’absenter de son œuvre afin, précisément, d’y être encore plus présent et puissant, parcqu’invisible. Ainsi, l’auteur s’efforce de n’exister que dans une œuvre qui est donc totalement son produit. Nous remarquons enfin que ces deux propositions sont reliées par un simple coordonnant, qui n’a ici qu’une valeur additive, donc par un lien très lâche, lequel est doublé par tout un jeu d’oppositions entre les deux propositions. Ainsi les deux présentatifs identiques « c’est que », les deux préfixes ex– et dis– et les deux prépositions « par et « pour » s’opposent par leur mise en ordre identique, mais sont reliés par le coordonnant. Il y a donc ici une tension entre deux forces, celle de l’œuvre de fiction et celle de l’auteur de fiction. Le propos de Jean Rousset pose donc aussi la question du rapport entre l’œuvre et son auteur. L’auteur s’incarne complètement dans son œuvre, qu’il présente hypocritement comme le fruit du réel dans tout sa vérité. En effet, dans les Lettres persanes comme dans les Liaisons dangereuses, le romancier compte sur sa disparition, dès le paratexte introductif, pour accréditer la véracité de son texte. Toutefois, et nous n’en sommes pas dupes, c’est le moyen de prendre le contrôle total d’une œuvre qui se représente au lecteur comme sans auteur littéraire. Néanmoins, lorsque le lecteur attend le nœud crucial où réside le sens, dans les deux cas l’auteur disparaît, laissant le texte seul responsable de sa parole. Cette relation entre réel et fiction, auteur et œuvre, apparaît donc ambiguë.

        Trois moments seront nécessaires pour répondre à Jean Rousset. Tout d’abord, il apparaît qu’effectivement le pouvoir de la fiction vient de son affirmation même, et que c’est en faisant jaillir son œuvre de nulle part que l’auteur s’en rend le maître indirect mais absolu. Toutefois, dans un second moment, nous verrons que c’est en exhibant la fiction comme fiction que le réel peut percer et apparaître, et que l’auteur, pour vraiment s’écarter de son œuvre, doit montrer qu’il est là. Enfin, il s’avèrera que le sens et la vérité de l’œuvre naissent d’un va-et-vient, d’une contamination de l’un par l’autre, de moins en moins contrôlée par l’auteur et de plus en plus forte dans l’œuvre.

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        Reculer pour mieux sauteur, tel est l’équivalent proverbial de la démarche du romancier selon Jean Rousset. En effet, le mensonge en littérature vise à faire jaillir la vérité. En outre, l’auteur se désavoue pour composer avec plus de liberté. Par conséquent, l’auteur se veut despote d’une œuvre qui n’est que son propre mensonge.

        Paradoxalement, le « romancier » travaille sur la « fiction » pour en tirer, ou plutôt pour construire une nouvelle vérité ; mais cette vérité ne vaut que par l’ « [exclusion] » du « fictif ». En effet, l’œuvre mensongère, que constitue le roman, doit être pleinement hypocrite pour être efficace. Le romancier travaille donc à faire de cette fiction, idéalement non fictive, une continuation de la réalité. Ainsi le « Rédacteur », simple scriptor des Liaisons dangereuses, peut-il écrire dans sa préface : « On m’a objecté que c’étaient les Lettres même qu’on voulait faire voir, et non pas un Ouvrage fait d’après ces Lettres. » Nous voyons donc ici l’expression d’une exigence de vérité, contraignante et extérieure, qui se veut garante, auprès du lecteur, de son honnêteté et de la véracité des lettres. La mention seule de l’éventualité d’un « Ouvrage » composé appelle la bienveillance du lecteur, tel un aveu appelle une confiance réciproque, donc finalement la participation active du lecteur au mensonge qui le trompe. Ainsi, l’enjeu du roman repose sur la fiction travestie en réalité : c’est par le mensonge fondamental que le roman construit un sens qui se veut vérité à la lecture.

        Second volet du diptyque, le « romancier », de même, se soumet à une démarche camouflée, en « se [dissimulant] ». L’auteur, en affirmant la complète autonomie du livre qu’il prend le soin de seulement publier, enterre sa participation à l’œuvre. Ainsi, il s’octroie un pouvoir plus large et plus efficace, puisque chaque caractère de l’œuvre, quel qu’il soit, est le produit des véritables auteurs, absents, et non sa responsabilité. C’est pourquoi l’éditeur des Lettres persanes écrit dans la Préface de 1721 : « c’est à condition que je ne serai pas connu : car, si l’on vient à savoir mon nom, dès lors je me tais. » Cet anonymat arrange bien l’éditeur fictif, car si ces lettres se trouvent être « du goût du public », il pourra en publier d’autres, mais en restant libre du choix et de la composition. Cette phrase a en outre l’autre intérêt d’éveiller la curiosité du lecteur, à la fois à l’égard de l’œuvre et de son éditeur. L’éditeur, en explicitant son refus de donner son nom, se cache ouvertement, donc rend son humble disparition ironiquement et volontairement ostentatoire.

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