Le coda
Commentaire de texte : Le coda. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar mverbeyst • 5 Décembre 2022 • Commentaire de texte • 2 134 Mots (9 Pages) • 258 Vues
JACQUES REDA : ALLER AUX MIRABELLES : CODA
COMMENTAIRE
La coda est le mouvement sur lequel s’achève un morceau de musique. On ne s’étonnera pas alors que Jacques Réda, poète lorrain passionné de Jazz, ait intitulé ainsi le poème qui clôt son ouvrage Aller aux mirabelles, édité en 1991. Il raconte dans ce livre une semaine passée à Lunéville où il est né. Il y retrouve sa famille et les lieux de son enfance. Dans « Coda », il évoque la relation qu’il entretient avec sa ville natale. Nous pourrons alors nous demander ce qui fait la singularité et la complexité de cet attachement. Nous étudierons d’abord le lien unique qui unit l’auteur à sa ville d’origine pour découvrir ensuite que le poète est à la recherche de son identité.
L’écrivain entretient une relation privilégiée avec la ville qui l’a vu naître.
Il s’agit tout d’abord d’un attachement indéfectible. En effet, ce lien est dû au fait qu’il y est né, qu’il y a fait ses premiers pas, y a ouvert les yeux sur le monde. Le fait qu’il évoque sa ville natale est précisé à deux reprises dans le poème : « y naître » (v.14) et « notre lieu natal » (v.33). Par ailleurs, la structure du poème permet de mettre en évidence cet attachement. On constate qu’à trois reprises, des lieux sont énumérés : « J’ai vu Prague et Florence, Athènes/et visité la vieille ville de Cahors » (v.1-2) puis « Le long des quais dorés et des jardins, sous l’arche/des ponts, dans les palais » (v. 18-19) et enfin « Irais-je en Inde, en Chine, au Cap, en Amérique » (v. 22). Jacques Réda a l’audace de comparer sa petite ville de Lorraine avec des villes au patrimoine et à la beauté architecturale incommensurables et il affirme que le plan de sa ville se substitue au plan de ces villes-là dans son esprit. Elle est donc précieuse pour lui mais sa valeur est affective. De plus, les énumérations, la conjonction de coordination au vers 2 (« et ») ainsi que le rejet du vers 18 au vers 19 prouvent qu’il est allé dans de très nombreux endroits et que sa marche semblait ne pas s’arrêter. La même expérience, le même sentiment de « rester au dehors » s’est renouvelée de nombreuses fois. Par ailleurs, comme dans les différentes villes qu’il a visitées, il y a également à Lunéville des quais, des arches, des ponts et un château. On note également le passage du passé composé de l’indicatif au conditionnel présent : « Irais-je en Inde… ». Le passé composé exprime un constat. Il souligne ce qui reste dans le présent de l’expérience passée : le sentiment d’étrangeté et sa ville qui est toujours présente à son esprit partout où il va. Le conditionnel suggère qu’il n’est pas nécessaire de partir ailleurs encore, dans des endroits plus exotiques, loin des villes d’Europe car c’est toujours sa ville natale qu’il y retrouverait. Cette ville est donc pour lui une compagne : « c’est elle avec mon pas qui marche » (v. 20). C’est une compagne assez discrète et fidèle. Jacques Réda fait également allusion à un autre poète attaché à sa ville natale. En mentionnant « la vieille gare de Cahors » dès le vers 2, il pense sans doute à Clément Marot, un poète qui a lui aussi écrit un hymne à sa ville d’origine. Réda souligne ainsi la discrète communion des sentiments entre les deux poètes. Il exprime de surcroît son regret de l’avoir quittée avec l’emploi du conditionnel passé au vers 28 : « Il aurait mieux valu ne l’avoir pas quittée ». On observe enfin que la rime « natal » (v.3) et « fatal » (v. 37) traduit bien le lien unique qui le lie à cette ville : le poète est comme tous les êtres humains, c’est-à-dire qu’il est contingent, « improbable » (v. 37) mais par sa naissance, il est devenu « fatal » : il ne peut pas ne pas être et c’est dans cette ville qu’il est passé du néant à l’existence. Elle participe à son existence même et à ce qui fait son identité.
On constate ensuite que cette relation privilégiée constitue en fait un lien paradoxal avec une ville mystérieuse. Cette ville n’est en effet pas décrite. Cela pourrait être n’importe quelle ville du monde jusque dans les derniers vers du poème. Cette imprécision donne une portée universelle à son expérience personnelle. Sa ville ne semble donc pas avoir de personnalité propre contrairement aux grandes villes d’Europe qu’il a visitées. Il ne la désigne jamais par son nom et utilise des périphrases qui ne permettent pas de l’identifier : « la ville dont rien n’a pu me désunir » (v.13). Il faut avoir lu l’ensemble de l’ouvrage ou connaître un peu la biographie de Jacques Réda pour savoir précisément de quelle ville il s’agit. Il ne cherche donc pas à la rendre attrayante au lecteur. Ainsi, le champ lexical du mystère parcourt le texte et sert à la qualifier : « mirage » (v. 3), « ésotérique » (v. 24), « secret » (v. 25), « mystère toujours intact » (v. 34-35), « endroit énigmatique » (v. 36). C’est assez paradoxal car il exprime sa familiarité avec cette ville, il la personnifie même (« c’est elle avec mon pas qui marche ») et en même temps, elle est une énigme pour lui. Il ne cherche pas à en percer le mystère. Son attachement à sa ville est lui-même énigmatique car il est sans illusions sur cette petite ville de province : elle est calme, elle est même engourdie et il aurait été atteint par cette forme de léthargie s’il y était resté, c’est ce qu’il suppose du moins comme le suggère l’emploi du subjonctif et du modalisateur « peut-être » : « elle m’eût assimilé peut-être/A son calme » (v.30-31). C’est un lien unique certes mais également parfois pesant comme le prouve l’emploi de l’adjectif « obstiné ». L’usage constant de la première personne du singulier au fil du poème enfin souligne sa solitude profonde et sa ville est une compagne très fidèle mais le substantif « mirage » montre que ce compagnonnage n’est qu’une illusion. Ce n’est pas un être réel même s’il la personnifie. Dans ce poème qui suit le récit d’un court séjour dans sa ville, le poète fait donc le point sur la relation qu’il entretient avec elle. Mais l’attachement qu’il lui porte recèle un questionnement plus profond.
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