Figaro est-il un valet de comédie traditionnel ?

Le XVIIIe siècle est une période spectatrice de changements majeurs, que ce soit dans la société avec la Révolution française à partir de 1789, en philosophie avec le développement des idées des lumières, et en littérature où les auteurs commencent à assumer leur éloignement du classicisme et de l’Antiquité. C’est dans ce contexte prérévolutionnaire que Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais un écrivain, dramaturge et musicien français écrit Le Mariage de Figaro ou la Folle Journée en 1784. Cette pièce fait partie d’une trilogie dans laquelle on trouve Le Barbier de Séville en 1775, Le Mariage de Figaro en 1784 et La Mère Coupable en 1792. Cette œuvre centrale est une pièce comique mais est considéré comme trop critique par le Roi Louis XVI, elle sera donc censurée notamment à cause de certaines répliques de Figaro sur l’égalité. Figaro, personnage central de la pièce, est valet au service du Comte Almaviva. Figaro est-il un valet de comédie traditionnel ? C’est-à-dire si oui ou non, Figaro peut être comparé aux autres valets domestiques, que ceux mis en scène au XVIIe par Molière. Premièrement, en quoi Figaro peut être considéré comme un valet traditionnel ? Deuxièmement, en quoi Figaro s’éloigne tout de même trop des caractéristiques pour être un valet de comédie traditionnel ? Troisièmement, en quoi Figaro est en réalité la figure critique de la pièce ?

Tout d’abord, nous verrons donc en quoi Figaro est bien un valet traditionnel de comédie, c’est-à-dire qu’il possède les mêmes caractéristiques que les autres valets de comédie du XVIIe siècle. Un trait marquant des valets traditionnels de comédie est la présence du comique. Dans le Mariage de Figaro, Beaumarchais use de tous les ressorts du comique, en fidèle héritier de la farce de la commedia dell’arte et de la comédie moliéresque. En comique de geste, dans l’acte V scène 18, on retrouve Figaro qui se prosterne “à genoux, ventre à terre”. Figaro use également du comique de mots. Pour lui, Basile n’est pas un musicien à faire “briller” un chanteur, mais à le faire “brailler”. Ce jeu de mots en dit long sur le peu d’estime de Figaro pour le maître de musique. Il se livre ensuite, tous deux, un échange d’injures sur un rythme endiablé (IV, 10). Cette scène fait rire à leur dépend : une caractéristique d’un valet traditionnel. Le comique de situation est, quant à lui, présent dans l’acte V. Cet acte est rendu complexe par le jeu des quiproquos générés par les déguisements : le Comte croit entrainer Suzanne et Figaro croit parler à la Comtesse. Cet acte est amusant pour le spectateur qui se retrouve dans la confidence et instaure un lien avec les deux femmes qui entendent des propos qu’elles n’auraient jamais dû entendre. En exemple de comique de caractère : Figaro, dans l’acte IV scène 13, qui après avoir affirmé à Marceline : “si Suzanne doit me tromper un jour, je le lui pardonne d’avance” se laisse ensuite gagner par une colère jalouse.

Une autre caractéristique de ces valets est la polyvalence. Le valet est en effet un homme à tout faire au service de son maître, qu'il suit et sert à ses dépens. Figaro qui était le confident du Comte Almaviva, et l’ingénieux esprit qui aidait son maître à satisfaire ses envies dans Le Barbier de Séville, devient dans Le Mariage de Figaro l’aide de camp du Comte, pouvant ainsi bien s’occuper des commissions du Comte autant que pratiquer la politique. On perçoit cette différence au fur et à mesure de l’avancement de la pièce. Dans l’acte 1 scène 1, on trouve ce caractère polyvalent à chacune de ses réponses : “Monseigneur veut-il quelque chose ? Il n’a qu’à tinter du sien ; crac ! En trois sauts me voilà rendu ! / SUZANNE : Fort bien ! Mais quand il aura tinté du sien pour te donner quelque bonne et longue commission”. Ce passage montre bien que Figaro s’attend à recevoir à n’importe quel moment une “commission” peut désigner n’importe qu’elle tâche quotidienne que Figaro peut effectuer. Dans l’acte III scène 5, les responsabilités de Figaro évoluent puisque ses tâches sont de plus en plus complexes : le Comte est devenu ambassadeur du Roi en Angleterre et propose à Figaro de devenir le courrier de dépêche. Pour Figaro, courrier de dépêches est un travail très valorisant, qui lui permet ainsi d’aller en Angleterre. Cette progression des rôles de Figaro montre bien que celui-ci est un valet plein de ressources et qui est donc un valet polyvalent. Figaro correspondant bien à cette caractéristique des valets traditionnels, on peut dire que Figaro semble bien en être un. Désormais, nous verrons donc en quoi Figaro s’éloigne trop des caractéristiques pour être un valet de comédie traditionnel, c’est-à-dire qu’il ne possède pas les mêmes caractéristiques que les autres valets de comédie du XVIIe siècle.

Jusqu'au XVIIe siècle, les valets servent de faire-valoir à leurs maîtres, qu'ils craignent et qui les bat. Par exemple, Sganarelle sert de faire-valoir à Don Juan, en lui permettant d’étancher son besoin de domination. Sans Sganarelle et ses raisonnements illogiques comme celui de l’acte III scène 1, Don Juan ne serait pas considéré comme supérieur intellectuellement. Comme a dit La Rochefoucauld : “Les intelligents feraient bien de ne pas tant mépriser les sots car sans leur compagnie ils n’existeraient pas”. Mais à partir du XVIIIe siècle, l’esprit des Lumières et l’essor de la bourgeoisie remettent en cause la hiérarchie sociale et les privilèges de la noblesse : la valeur d’un individu n’est plus liée à son rang

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