Liaisons dangereuses - Lettre 81 - Analyse linéaire
Commentaire de texte : Liaisons dangereuses - Lettre 81 - Analyse linéaire. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Françoise Latour • 30 Décembre 2019 • Commentaire de texte • 2 686 Mots (11 Pages) • 59 297 Vues
1ERE_ROMAN
Les liaisons dangereuses _ Lettre 81_Choderlos de Laclos (1782)
ANALYSE
Questions préalables à l’analyse
- Qui parle ?
La marquise de Merteuil, héroïne du roman « Les liaisons dangereuses ».
La marquise est une libertine qui avec son complice, le Vicomte de Valmont, organise la manipulation de victimes, par amusement ou par vengeance.
- A qui ?
Au Vicomte de Valmont avec lequel, à la fin de leur liaison amoureuse, elle a signé un pacte d’inviolable amitié.
- De quoi ?
De la manière dont elle s’est construite dans le but d’échapper à la condition féminine de l’époque réduisant les femmes à un rôle de soumission et de représentation.
Projet de lecture
Que révèle ce texte sur la condition des femmes au XVIIIe siècle ?
Ou
En quoi cette lettre traduit-elle une posture originale pour une femme du XVIIIe siècle ?
Ou
Face à la condition proposée aux femmes de son époque, comment réagit la Marquise de Merteuil ?
Mouvements du texte
- Un sentiment de supériorité : lignes 1 à 4
- L’apprentissage de la maîtrise de soi : lignes 5 à 16
- L’art de la manipulation : lignes 17 à 24
Analyse linéaire
Introduction. Les Liaisons Dangereuses, paru en 1782, est l’œuvre principale de Pierre Choderlos de Laclos, alors officier dans l’armée. Malgré le scandale, ce roman épistolaire composé de 175 lettres connaît un succès fulgurant.
Il narre les manipulations auxquelles se livrent deux libertins de la noblesse, la Marquise de Merteuil et le Vicomte de Valmont. Leurs principales victimes sont deux jeunes femmes de l’aristocratie, la présidente de Tourvel et Cécile de Volange.
Dans cette lettre, la Marquise de Merteuil retrace pour Valmont son parcours et son éducation qui feront d’elle une femme libre : c’est un passage autobiographique, où Madame de Merteuil affirme clairement sa supériorité par rapport à Valmont et aux autres femmes.
Nous analyserons dans ce passage la réponse qu’apporte la Marquise de Merteuil face à la condition proposée aux femmes de son époque.
Nous répondrons à ce projet de lecture en observant trois mouvements du texte : le sentiment de supériorité que manifeste la marquise de Merteuil, l’apprentissage de la maîtrise de soi qu’elle s’impose à elle-même et la conquête de la liberté de pensée qu’elle a mise en œuvre.
I. Un sentiment de supériorité (l. 1 à 4)
- Mais moi, quand m'avez-vous vue manquer à mes principes ? Je dis mes principes, et je le dis à
- dessein : car ils ne sont pas, comme ceux des autres femmes, donnés au hasard, reçus sans
- examen et suivis par habitude ; ils sont le fruit de mes profondes réflexions ; je les ai créés, et je
- puis dire que je suis mon ouvrage.
Le texte commence par une question à travers laquelle la Marquise de Merteuil semble vouloir clarifier qui elle est vraiment, comme si elle s’était sentie offensée. A partir de là, la M.de M. va dérouler la trajectoire qui l’a conduite à devenir la femme qu’elle est.
- Un autoportrait
Dès les 4 premières lignes du texte, l’omniprésence du « je » à travers les pronoms personnels et possessifs « je », « me », « mon », « ma », « moi » révèle que cette lettre annonce un autoportrait. Cette omniprésence de la 1ère personne révèle aussi l’orgueil du personnage comme le confirme la suite du texte.
- Un sentiment de supériorité / un orgueil démesuré
- 1° mot = « mais » = terme d'opposition : elle construit son portrait en opposition aux autres. Si la marquise met autant de distance, c’est parce qu’elle se considère comme différente, voire supérieure : à l’inverse de l’ensemble des femmes de son époque, elle ne fait rien par « habitude » et par « hasard ».
- Chez les « autres femmes », les principes d'éducation sont en effet « donnés au hasard » = "au petit bonheur la chance".
- Chez les « autres femmes », les principes sont « reçus sans examen » puis « suivis par habitude » = sans réfléchir / sans esprit critique → Ce qui montre aussi la totale soumission des femmes acceptant ce qu'on leur propose sans remettre en question quoi que ce soit.
- Loin de suivre ce mouvement qu’impose la société aux femmes, la marquise de Merteuil a modelé son comportement en y réfléchissant :
- par l’expression « je le dis à dessein », elle affirme une pensée propre/personnelle.
- Les principes de la M.de Merteuil « ne sont pas comme ceux des autres femmes » (l.2) : ses valeurs, les fondements de sa personne sont différents, donc elle est différente.
- La marquise devient ainsi son « propre ouvrage ». A noter : le terme « ouvrage » est dérivé du terme « œuvrer » qui signifie « travailler » et s’apparente au terme « œuvre », évoquant une œuvre artistique. L’emploi de ce terme semble ainsi évoquer la grande valeur que la marquise accorde à ce qu’elle a accompli pour fuir sa condition. Ce qu’elle va expliciter en détails dans le mouvement suivant.
- L’apprentissage de la maîtrise de soi : lignes 5 à 17
- Entrée dans le monde dans le temps où, fille encore, j'étais vouée par état au silence et à
- l'inaction, j'ai su en profiter pour observer et réfléchir. Tandis qu'on me croyait étourdie
- ou distraite (…), je recueillais avec soin ceux qu'on cherchait à me cacher. Cette utile
- curiosité, en servant à m'instruire, m'apprit encore à dissimuler : forcée souvent de cacher
- les objets de mon attention aux yeux qui m'entouraient, j’essayais de guider les miens à mon
- gré ; j'obtins dès lors de prendre à volonté ce regard distrait que depuis vous avez loué si
- souvent. Encouragée par ce premier succès, je tâchai de régler de même les divers
- mouvements de ma figure. Ressentais-je quelque chagrin, je m'étudiais à prendre l'air de
- la sécurité, même celui de la joie; j'ai porté le zèle jusqu'à me causer des douleurs
- volontaires, pour chercher pendant ce temps l'expression du plaisir. Je me suis travaillée
- avec le même soin et plus de peine pour réprimer les symptômes d'une joie inattendue. C'est
- ainsi que j'ai su prendre sur ma physionomie cette puissance dont je vous ai vu
- quelquefois si étonné.
A. Un parcours initiatique
- La marquise de Merteuil décrit dans ce passage un parcours initiatique comme le révèle le champ lexical du savoir et de l’éducation – « observer », « réfléchir », « cette utile curiosité » « m’instruire », « m’apprit encore », « je m’étudiais »…
- A noter que cette terminologie fait écho aux idées des Lumières qui se développent entre le XVIIe et le XVIIIe siècle.
- On peut également relever ici le registre de l’éloge que M.de.M emploie pour parler d’elle-même. Elle se dépeint, en effet, comme l’auteur de sa propre vie alors que son statut la destine automatiquement à un simple statut d'objet (ou de plante verte) :
- « vouée par état au silence et à l'inaction » (l.) : le terme « vouée » insiste sur l'idée de destin, et leur destin est de se taire (« silence »), de ne pas bouger (« inaction ») = de n'être finalement qu’un simple objet inanimé.
- Madame de Merteuil tente donc de déjouer la fatalité en devenant une autodidacte (« j’en ai profité pour observer et réfléchir ») et en faisant d’elle même une création à part entière.
- A noter que le champ lexical de la formation est toujours accompagné d'une marque de la 1° personne : « je m’étudiais », « Je me suis travaillée ». Elle fonctionne donc en autonomie : à la fois sujet et objet des verbes appartenant au champ lexical de la formation.
- A noter que l’expression « Je me suis travaillée » s’applique davantage au travail du bois, par exemple → ainsi elle se prend elle-même pour matériau = elle se forme, au sens premier du terme. De nouveau, on a l’impression d’un artiste ou d’un scientifique qui, par un travail acharné et minutieux (« avec le même soin et plus de peine ») a mené à bien une expérimentation. De nouveau, on notera une démarche qui fait référence à la philosophie des Lumières.
- Les étapes de cette éducation
- 1° étape = observation
- Tout d'abord une attitude passive d’observation : il faut « observer et réfléchir » (l. 6), « curiosité » (l. 8) (elle est passive)
- Mais une observation intelligente puisqu’elle sait faire la différence entre ce qui est bon à prendre.et à laisser. De plus ces deux qualités lui permettent de découvrir ce qu'on veut lui cacher (l.7).
- = C'est donc une éducation qui cherche à aller au-delà des apparences (= elle veut deviner ce qui se cache derrière les apparences).
- 2° étape = l’imitation
- Double utilité de cette observation :
_______- acquérir des connaissances : « m’instruire »
_______- pratiquer par imitation : « m'apprit à dissimuler » (l.8)
- En observant les autres lui dissimuler des choses, cela lui apprend elle-même à dissimuler à son tour : elle va s'entrainer.
- 3° étape = l'entrainement
- En étudiant les non-dits, la marquise fera son éducation en apprenant elle-même à jouer sur les apparences :
- D'abord par le regard. j'obtins dès lors de prendre à volonté ce regard distrait (l11)
- Puis par l’expression entière du visage : « régler les divers mouvements de ma figure » (l.12) en s’appliquant à donner à voir un expression exprimant systématiquement le contraire de ses véritables émotions. : « Je m'étudiais à prendre l'air de la sécurité, même celui de la joie (l12,13) » ; « Me causer des douleurs volontaires, pour chercher pendant ce temps l'expression du plaisir »
C. La maîtrise de soi
- Cette maîtrise des émotions lui confère ainsi une sorte de carapace grâce à laquelle la marquise de Merteuil va se protéger : en devenant, en apparence, imperméable aux émotions, elle devient inatteignable, inébranlable et ainsi plus « puissante » que son entourage, que la société qui l’entoure : « C'est ainsi que j'ai su prendre sur ma physionomie cette puissance… » (l.16).
- Elle semble ainsi renverser le rapport de force : d’une position de dominée du fait de son sexe, elle devient « dominante » grâce à la maîtrise de soi.
- Valmont, lui même grand libertin et manipulateur, est ici pris en exemple de l’efficacité de cette force de dissimulation face à laquelle il a été soit admiratif (« ce regard distrait que vous avez loué si souvent »), soit surpris (« cette puissance dont je vous ai vu quelque fois si étonné »).
- La conquête de la liberté : lignes 18 à 24
- J'étais bien jeune encore, et presque sans intérêt : mais je n'avais à moi que ma
- pensée, et je m'indignais qu'on pu me la ravir ou me la surprendre contre ma
- volonté. Munie de ces premières armes, j’en essayais l’usage : non contente de ne
- plus me laisser pénétrer, je m'amusais à me montrer sous des formes différentes :
- dès ce moment, ma façon de penser fut pour moi seule, et je ne montrai plus que
- celle qu'il m'était utile de laisser voir. Je n'avais pas quinze ans, je possédais déjà
- les talents auxquels la plus grande partie de nos politiques doivent leur réputation.
Ce 3ème mouvement nous éclaire sur l’objectif ultime de ce parcours initiatique : conquérir la liberté et la conserver.
_
A. Une lutte acharnée
...