Lecture linéaire, lettre 30, Montesquieu, Lettres persanes, 1721
Thèse : Lecture linéaire, lettre 30, Montesquieu, Lettres persanes, 1721. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Seblamenace • 21 Septembre 2020 • Thèse • 1 850 Mots (8 Pages) • 6 214 Vues
Lecture linéaire, lettre 30, Montesquieu, Lettres persanes, 1721
Cette lettre est une des plus connues du roman épistolaire Lettres persanes.
Rica est le destinateur. Les sujets de ses lettres sont souvent plus légers que ceux traités dans les lettres d’Usbek. Après la découverte de Paris dans la lettre 24, il évoque dans la lettre 30 la société parisienne, il en dresse un tableau satirique.
Questions possibles
Comment le regard éloigné de Rica sur les Parisiens le regardant lui-même met-il en lumière la frivolité et l’ethnocentrisme des Français ?
En quoi peut-on parler de double regard dans cette lettre ?
Qui regarde qui dans cette lettre ?
Les mouvements du texte
La lettre est structurée en deux mouvements opposés
- L. 1 à 16 : le regard du Persan sur le regard que les Parisiens portent sur lui-même
- L. 16 à la fin : une expérience antithétique à la première. Transformation du regard
1. L. 1 à 16 « … où je n'étais point connu» : Le regard du Persan sur le regard que les Parisiens portent sur lui-même
L.1 à 3 : La 1ère phrase présente le sujet de la lettre : la curiosité des Parisiens. « Les habitants » l’emploi du pluriel généralisant et du présent gnomique « sont » font que cet avis sonne comme un aphorisme ou une vérité générale. Cette 1ère phrase annonce aussi la tonalité satirique de la lettre : le jugement moqueur de Rica est exprimé par l’hyperbole « extravagance » qui souligne la frivolité et la démesure des Parisiens. La périphrase « Les habitants de Paris » qui met en avant le cloisonnement intra muros peut-être interprétée comme un manque d’ouverture d’esprit, une amorce de la critique de l’ethnocentrisme des Parisiens.
Rica commence le récit d’une expérience personnelle dont il tire le jugement énoncé dans la phrase précédente : il a été l’objet de cette curiosité extravagante.
- 2, 3 : Rica caricature cet engouement irrationnel pour sa personne. La subordonnée de temps « Lorsque j'arrivai » introduit ce récit et en date l’aventure. La forme passive du verbe « je fus regardé » fait de Rica l’objet de ces regards, le verbe « voir » placé à la fin de la phrase est mis en valeur. L’accumulation « vieillards, hommes, femmes, enfants » et l’emploi de l’indéfini hyperbolique « Tous » mettent en avant sa popularité générale et la comparaison « comme si j'avais été envoyé du ciel » moque l’outrance de la réaction des Français qui tombent en adoration religieuse devant lui. Leur surprise montre aussi leur ethnocentrisme.
L.3 à 8 : il énumère les multiples situations où il s’est trouvé confronté à cette célébrité. Trois propositions subordonnées introduites par si «Si je sortais», «si j'étais aux Tuileries», «si j'étais aux spectacles» permettent de souligner la variété et la répétition de ces situations, elles donnent aussi l’impression que Rica se livre à une série d’expériences afin de vérifier la curiosité des parisiens. Chacune de ses apparitions semble engendrer une réaction mécanique et répétitive de ses adorateurs mise en relief par la répétition de l’imparfait itératif «se mettait», «je voyais», «faisaient», «je voyais aussitôt». L’adverbe «aussitôt» insiste sur l’immédiateté et le caractère automatique de ces réactions.
Cette multiplicité des regards tournés vers Rica est étourdissante et un peu agressive ce que plusieurs procédés permettent de mettre en valeur : l’hyperbole « tout le monde », le crescendo de «un cercle […] autour de moi» à «un arc-en-ciel nuancé de mille couleurs, qui m'entourait» ainsi que la métaphore des robes colorées tourbillonnantes, la métonymie des regards indiscrets « cent lorgnettes dressées contre ma figure », l’agressivité suggérée par le verbe «dressées contre» et enfin l’opposition du pluriel hyperbolique «cent lorgnettes » et du singulier «ma figure». Ces femmes « faisaient un arc-en-ciel, nuancé de milles couleurs » : cette hyperbole pittoresque est un moyen pour Rica de signifier à son ami Ibben que les Parisiens sont eux aussi intrigants. Au-delà du comique de situation, l’on se rend bien compte que si Rica est regardé, il regarde aussi. On commence à percevoir ici le « choc » de deux cultures distinctes.
La conclusion de ces observations est introduite par l’adverbe : «enfin» et suivie d’une hyperbole satirique « jamais homme n'a tant été vu que moi.» : Rica semble à la fois assister à un spectacle et être au cœur de ce spectacle.
L. 8 à 10 : Rica le Persan observe donc les Français l’observant. Il porte un regard amusé sur le regard que les Parisiens portent sur lui-même. Par l’intermédiaire de Rica, Montesquieu moque la sottise des jugements des Parisiens qui ne connaissent rien d’autre que leur microcosme : « Je souriais quelquefois d'entendre » l’observation amusée est exprimée par le verbe. La périphrase satirique « des gens qui n'étaient presque jamais sortis de leur chambre » moque les idées reçues des ignorants qui se font passer pour des connaisseurs de la Perse, capables d’affirmer naïvement et avec assurance : «Il faut avouer qu'il a l'air bien persan.» Cette phrase au discours indirect libre, l’emploi du verbe « avouer » ramène le statut d’étranger à une faute, ce dont se moque Montesquieu.
L.10 à 12 : L’exclamation ironique «Chose admirable !» est ambigüe : elle peut être le prolongement des paroles rapportées des Parisiens fascinés, mais elle peut aussi exprimer l’étonnement de Rica devant les marques d’adoration qu’il observe (les nombreux portraits de lui). Par l’hyperbole «partout», par l’adjectif «multiplié» et par le parallélisme répétant l’adjectif totalisant « dans toutes les boutiques, sur toutes les cheminées » il ridiculise leur engouement démesuré.
L. 13 à 16 : Après l’étonnement feint, Rica joue la lassitude et la fausse modestie pour souligner l’excès irrationnel de l’attraction qu’il exerce, « Tant d'honneurs ne laissent pas d'être à la charge » suggère la lourdeur, le poids que génère cette notoriété.
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