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Lecture analytique de François Villon

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Par   •  31 Janvier 2016  •  Analyse sectorielle  •  2 413 Mots (10 Pages)  •  5 268 Vues

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Lecture Analytique n°1 : François Villon, « Frères humains… »  (XVème siècle)

Introduction :

La « ballade des pendus » est un des poèmes les plus célèbres de François Villon, poète intrigant du xvème siècle, né vers 1432. Toujours impliqué dans des « affaires » de son époque dès l’université, il s’acoquine avec Les Coquillards, bande de malfrats qui fera de lui un hors-la-loi. Villon mène une vie errante, suit des saltimbanques pour se faire oublier, écrit des poésies qui l’amènent à la Cour de Charles d’Orléans à Blois. Il alterne périodes de renommée et emprisonnements (il sera même torturé pour ses écrits et ses mœurs réprouvés par l’Eglise). Condamné puis gracié maintes fois, il écrit selon la légende cette ballade la veille d’une pendaison à laquelle il a finalement échappé en acceptant un bannissement de 10 ans. Il a alors à peine plus de 30 ans, mais on perd sa trace à partir de l’année 1463. C’est grâce au poète Clément Marot que la postérité redécouvrira ses œuvres près d’un siècle plus tard.

Ce poème suit la forme fixe de la ballade : il s’agit de strophes constituées d’autant de vers que le mètre utilisé (ici, le décasyllabe), et d’un envoi final de la longueur d’une demie strophe. La forme exige de plus le retour régulier d’un vers qui constitue le refrain de la ballade. Les vers sont croisés.

Problématique possible de ce poème : _________________________________________________________

_______________________________________________________________________________________________

Etude linéaire :

Titre / Arguments / Procedes

Citations

Analyse

Strophe 1 : Un discours d’Outre-tombe

  1. Une énonciation particulière

Adresse initiale

« Frères humains »

Mise en valeur des destinataires du poème, GN à valeur sémantique redondante qui accentue dès l’ouverture du poème sa dimension humaniste.

Emploi du pronom « nous » pour évoquer l'énonciateur.

V.1 (puis 12,15 et 17)

« nous » désigne les pendus, l'énonciation prend alors la forme d'une prosopopée (parole donnée aux morts). Villon ne parle pas en son nom propre, mais se présente comme un porte-parole, ce qui donne à ce poème un lyrisme particulier, à valeur collective.

Périphrase pour définir les destinataires du poème.

v.1 : « qui après nous vivez »

Dimension prophétique : cette périphrase a une double fonction, car elle annonce  la fois la mort de l’énonciateur (« après nous ») et crée une dichotomie entre les morts et les vivants, pour une accentuation du pathos.

Injonction des impératifs

v.2 « n’ayez », v.9 « personne ne s’en rie » et v. 10 « priez »

Dimension morale du poème : ses injonctions oscillent entre le conseil et la menace…

Chiasme

V. 3 et 4 : pitié –nous pauvres -  avez / Dieu – vous - merci

Argument suprême du pardon employé par réciprocité de façon ambiguë : si les vivants prient Dieu de pardonner aux pendus, alors les vivants eux-mêmes seront pardonnés par Dieu. La notion de culpabilité et de pardon réciproque (par le jeu de miroir du chiasme) est ainsi habilement amenée par Villon.

 Le poète n'est pas isolé, le rapprochement locuteurs/destinataires atteint son paroxysme lorsque Villon les mêle et les intervertit, appelant une réflexion et une forme d'humilité.

  1. Une thématique saisissante

Lexique affectif

v.1 : « cœurs endurcis », v.3 « pitié » et « pauvres », v.4 « mercis »

Cet appel à la compassion conduit à un rapprochement du destinataire et du locuteur.

Champ lexical de la mort et décomposition en parallélismes ternaires

v. 6-7 « chair » + « dévorée et pourrie », v.8  « os » + « cendre et poudre »

Evocation sans détour de la mort, ce qui crée un effet de déshumanisation des pendus choquante pour le lecteur (vision répugnante qui l’indigne)

Hypotypose

V. 5 à 8 + insistance numérique v.5 : « cinq, six »

La description précise des pendus en décomposition sur leur gibet doit faire naître la répulsion physique, étape préparatoire à la répulsion morale.

 Volonté délibérer de choquer le lecteur en abordant la condition des hors-la-loi non par leurs fautes, mais par les conséquences de celles-ci.

Titre / Arguments / Procedes

Citations

Analyse

  1. Une organisation circulaire

Appels à la pitié et au pardon

v. 2 « cœurs endurcis », v. 9 « ne s’en rie » et v.10 « absoudre »

Insistance sur la visée du poème : un appel à la compassion

Un temps décomposé : passé, présent, futur

Adverbes temporels : « après nous » v.1, « plus tôt » v.4, « piéça » v.7.

Temps employés (hors impératifs) : présent (v.1, 3, 5, 7, 8), futur (v.4), passé (v.6).

Le temps du poème, celui des morts, se joue du temps des vivants en effectuant des allers-retours entre ces deux mondes.

Référence à Dieu

v. 4 et 10

Recours à l’autorité morale absolue chez les chrétiens.

Refrain

Dernier vers de chaque strophe

Musicalité propre à la forme poétique fixe de la ballade : rythme lancinant qui imprime sa maxime au fil de la lecture. Il s’agit d’une sorte de prière qui reprend une valeur morale et religieuse essentielle dans le christianisme de Villon : le pardon, l’absolution.

 Structure élaborée qui ne laisse pas d’échappatoire au lecteur, enfermé dans la prière morale de Villon

 Paradoxe entre les pendus qui s'expriment et les vivants muets dans ce poème ! Le discours de Villon déplace la moralité là où on l’attend le moins : chez les condamnés à la pendaison.

Strophe 2 : Une portée morale.

  1. Une rhétorique argumentative

Répétition

v. 11 « Frères »

Insistance sur la proximité des pendus et des hommes

Champ lexical de la mort

v. 12 « occis », v.15 « transis », v.19 « morts »

Rejets

v.12 « avoir dédain » et v. 13 « par justice »

Mise en évidence de valeurs humaines : la compassion et la justice = stratégie argumentative de persuasion (humilité des pendus qui acceptent leur peine)

Connecteurs logiques : jeux sur la condition et l’opposition

v.11 « Si » puis opposition/ concession avec « quoique » (v.12), « toutefois » (v.13), « Mais » (v.20). Cause avec « puisque » (v.15)

Organisation logique du poème qui s’articule de façon argumentée : Villon cherche à convaincre son lecteur de la cohérence de sa prière.

Injonctions

Impératifs v. 11, 15 + refrain 20

Injonctions au subjonctif v. 17 et 19.

A nouveau, le poète adresse une prière véhémente sur ce que les vivants peuvent (ou doivent) rendre  aux morts.

Maximes (présent de vérité générale + GN « tous hommes »)

v. 14

Enonciation d’une vérité générale qui va dans le sens de la flatterie (stratégie argumentative de la persuasion) : le bon sens des hommes doit les amener au pardon.

 Le poème de Villon renferme une portée argumentative qui interpelle le lecteur : elle le pousse à réfléchir et à entendre (au sens de « comprendre ») un sens caché de la prière des pendus.

  1. Le recours aux références religieuses

Lexique religieux

v.16 « Vierge Marie », v. 17 « grâce », v. 18 « infernale »

Poème inscrit dans une portée morale chrétienne  provocation du recours à des valeurs qui ne sont pas celles des bandits condamnés aux côtés de Villon (qui fréquentait la Cour des Miracles !) mais qui doivent être celles des hommes qui les jugent

Périphrase

v. 16 « le fils de la Vierge Marie »

Référence supplémentaire à un appel unique à Dieu (cf. strophe 1) : Villon recourt à plusieurs autorités religieuses pour appuyer sa prière. Cette périphrase permet d’intégrer 2 autorités morales supplémentaires : Jésus et Marie. En introduisant  une figure maternelle, Villon joue encore sur le registre de l’affectif : les frères, le fils, la mère…

Métaphore

v. 18 « infernale foudre »

Le Courroux divin ainsi représenté par la foudre rappelle la gravité des actes qui ont valu leur pendaison aux compagnons d’infortune de Villon, et un châtiment qu’ils redoutent.

 Contraste et paradoxe entre les pendus aux valeurs humanistes et les vivants présentés comme des bourreaux !

 Habile inversion de situation : Villon utilise une argumentation dissimulée, et des références religieuses qui font office d’autorité morales et qui ne sont pas celles de la sanction mais celles du pardon, valeurs essentielles au christianisme et qu’il utilise (dont il joue !) pour défendre ses compagnons. Ce sont désormais les vivants qui semblent condamnables.

Titre / Arguments / Procedes

Citations

Analyse

Strophe 3 : Un tableau macabre

  1. Des éléments morbides

Champ lexical du cadavre et de la décomposition

v. 22 « desséchés et noircis », « cavés » v.23, v. 28 « becquetés »

Evocation crue des souffrances endurées

Une nature sans merci : champ lexical modalisateur

v. 21 « la pluie », v.22 « le soleil », v. 23 « Pies, corbeaux », v. 26 « vent », v.28 « oiseaux »

Eléments naturels qui s’acharnent sur les cadavres (occurrence des oiseaux charognards) = métaphore de la cruauté que les pendus subissent, sans défense. Même les éléments nécessaires à la vie (soleil, eau, air) sont porteurs de leur perte. Le salut ne peut donc provenir que de l’humanité.

Hypotypose

v. 21 à 24

Le tableau répugnant des cadavres en décomposition accentue la déshumanisation des pendus : plus de couleur ni de forme humaine, plus d’yeux ni de cheveux.

 Insistance flagrante sur des éléments inesthétiques qui donnent au poème de Villon une visée volontairement provocatrice.

  1. Une poétique du laid

Métaphore + redondance

v.21 « débués et lavés »

Référence à l’absolution obtenue non par le biais de la confession mais par l’élément naturel de la pluie (= eaux purificatrices)

Parallélisme de construction

v. 21 et 22

Echo entre les effets des éléments appliqués sur leurs corps pour accentuer le sentiment d’horreur et de compassion du lecteur.

Structure symétrique (chiasme)

v. 23 et 24 : « les yeux cavés » / « arraché la barbe et les sourcils »

A la chute et à l’attaque de ces deux vers, les verbes marquent les effets de l’exposition des pendus, avec une sémantique violente : le lecteur n’est pas épargné et la morbidité des éléments s’enchaînent sans pause au fil des vers.

Redondance

v. 25 « Jamais nul temps »

Insistance sur l’absence de repos et le caractère éternel de leur situation : à l’instar des corps non décrochés du gibet, l’âme est tourmentée de l’absence de pardon.

Ironie

v. 25 (« assis », terme utile aux vivants mais non aux morts !)

Provocation par manque de solennité : le poète s’amuse du tableau qu’il crée, sachant qu’il va choquer son lecteur de présenter aussi trivialement des cadavres dans un poème.

La danse des cadavres : le rythme des vers

v. 26 : 2-2-6

v. 27 : 4-3-3

Vers au rythme très découpé, imitant le balancement des corps au gré du vent = « harmonie imitative » dont le poète joue pour provoquer son lecteur en intégrant du laid et du trivial à sa poésie.

 Paradoxe entre la danse macabre provoquée par le mouvement des oiseaux ou le vent et l'immobilité des vivants (passivité ? apathie ? hébétement ?) !

 La troisième strophe fait écho à la première (structure circulaire) par sa complaisance à dépeindre la déchéance des pendus : la portée morale de la ballade semble ainsi « effacée » par la provocation du poète à jouer avec le laid dans son poème, sans doute pour accentuer le malaise et le sentiment de culpabilité du lecteur.


Titre / Arguments / Procedes

Citations

Analyse

Envoi : une malédiction à peine voilée

Adresse différente / parallélisme de construction

« Prince Jésus, qui sur tous a maistrie » // « Frères humains qui après nous vivez »

Echo rythmique du refrain repris dans l’envoi : effet de martèlement, psalmodie rappelant la prière catholique dite « Notre Père » .

Champ lexical de l’Autorité

v. 31 « Prince » (origine : princeps, le détenteur de la souveraineté en titre), « maistrie », v.32 « seigneurie ».

Rappelle la place de l’homme soumis à une loi inexorable : sa destinée mortelle. L’homme n’est pas maître de sa destinée, il est soumis à sa condition de mortel.

Personnification de l’Enfer

v.32 « seigneurie » + v.33

Symbolise les menaces qui pèsent sur les chrétiens : la menace du séjour infernale pour les morts. La personnification permet de faire des Enfers un personnage que l’on peut « s’adjuger ».

Impératif 1ère p. sg

v. 33

L’objectif des vivants doit donc être de tout faire pour éviter d’être précipité aux Enfers. De plus, le « nous » a changé de signification : si au début du poème il désignait Villon et ses compagnons pendus, il les assimile désormais à toute l’humanité, bandits et honnêtes gens réunis…

Adresse universelle

v. 34 : « hommes » + fin du vers

Appel à la solidarité fraternelle et à la compassion

Adverbe de lieu

v. 34 : « ici »

Cette prière est celle des morts : c’est donc bien de l’au-delà que ceux-ci prodiguent leurs conseils. La valeur de ce « témoignage » n’en est que plus édifiante pour le lecteur.

Dernier refrain

v. 35

L’adjectif « tous » prend la signification universelle du « nous » de l’envoi : tous les hommes, bons ou méchants, vivants ou morts, coupables ou innocents…

 Cet envoi renferme une certaine ambiguïté car il oscille entre la prière pieuse, la maxime conseillère, et la menace voilée : gare aux manquements à la loi humaine ou religieuse, car les sanctions sont terribles et l’homme mortel n’a pour espoir d’échapper aux Enfers que l’absolution accordée par Dieu – et non par ses pairs…

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