Le rêve dans Aurélia de Nerval et la Fée aux miettes de Nodier
Dissertation : Le rêve dans Aurélia de Nerval et la Fée aux miettes de Nodier. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Sara Delmas • 15 Avril 2020 • Dissertation • 1 617 Mots (7 Pages) • 706 Vues
DEVOIR Les Bizarres observateurs du sommeil
Sara Delmas
« Le rêve est une seconde vie». Par cette simple phrase, qui ouvre l’incipit d’Aurélia, Nerval
donne à son oeuvre une dimension polémique. En dissidence avec les discours médicaux qui
témoignent de la naissance de la psychologie moderne au XIXème siècle, le poète proclame cette
conviction intérieure, sous la forme d’un présent de vérité générale. Éclairée par le reste de
l’oeuvre, cette première phrase peut de prime abord sembler mystérieuse, voire ambiguë : Le rêve
est-il une seconde vie au sens où il serait une vie « secondaire », de moindre intérêt par rapport à la
vie « première », celle de la veille ? S’agit-il d’un état « second », comme une vie parallèle
engendrée par un dédoublement de la personnalité, sans aucun lien avec la vie sociale, ce qui
assimilerait le rêve à la folie ? Ou encore le rêve est-il une seconde vie, vécu comme une
résurrection, un dépassement métaphysique de la mort, vers un au-delà où la connaissance de
l’Homme et de l’Univers serait possible ? De plus, l’ambiguïté de l’adjectif « second » ne doit pas
faire oublier le paradoxe de l’affirmation du rêve comme « vie », car l’apparente immobilité du
dormeur invite au contraire à assimiler les phénomènes du sommeil à une expérience de la mort.
L’affirmation de Nerval, elle, fait du rêve une vie, c’est-à-dire l’expérience d’un quelque chose
mystérieux mais qui existe ontologiquement, mu par un perpétuel mouvement, et pouvant apporter
des leçons de vie, et peut-être une sagesse. Ainsi, par l’exemple de Nerval mais aussi de Nodier,
auteur romantique contemporain, nous verrons de quelle façon le rêve est considéré à la fois
différent de la vie éveillée, s’exprimant d’autres façons.
Après avoir vu que le rêve est une « seconde vie » au sens de vie parallèle, différente de la vie
éveillée, nous verrons en quoi le rêve est une seconde vie au sens de résurrection, renaissance
intérieure en lien avec la mort. Enfin, Nerval et Nodier opère un renversement par rapport aux
scientifiques de leur temps, faisant de cette « seconde vie » une vie « première », plus riche et plus
lucide que la vie « éveillée ».
Nodier, dans son oeuvre théorique De Quelques phénomènes du sommeil, fait du rêve un
refuge de l’individu, à l’abri des influences de la personnalité de convention. N’étant pas selon lui
un phénomène culturel, le rêve permet au rêveur d’accéder à son vrai être, par un recours au
merveilleux qui s’oppose radicalement au « désenchantement de la vie sociale ». Une telle
dichotomie est visible dans le chapitre XXII de son roman La Fée aux miettes. En effet, le chapitre
est construit sur une opposition très forte entre le caractère merveilleux de expérience onirique, qui
transforme à la façon d’un artiste, une simple maisonnette en palais, et un brutal retour à la réalité :
« la clocle du chantier m’appela au travail ». Par là, Nodier semble confirmer l’idée d’Heraclite
exprimée dans son fragment 89, selon lequel le rêve est radicalement coupé du monde social.
On retrouve chez Nerval une même dichotomie entre le monde réel et le monde onirique du
rêve, décrit comme une sorte de vie parallèle. Par exemple dans le chapitre III de la nouvelle
Aurélia, Nerval retranscrit un dédoublement de sa personnalité avec la phrase : « tout prenait parfois
un aspect double ». On retrouve en effet dans ce passage une dualité entre le raisonnement logique
de la société, et le raisonnement symbolique qu’il fait, lorsqu’il ôte ses vêtements pour se libérer
symboliquement de ses fardeaux terrestres. Cette différence entre le raisonnement logique et celui
du rêve, qui obéissent à deux visions différentes du monde, font de l’oeuvre de Nerval une
autobiographie spirituelle qui se concentre sur l’aspect symbolique des choses, et non factuelles,
dans la lignée de la Vita Nuova de Dante. L’opposition entre délire et vie « réelle » est clairement
visible par l’arrestation du poète par les gardes. Au chapitre V, le poète se décrit également comme
dans un état « second », avec le terme emprunté à la science « cataleptique ». Le dédoublement de
la personnalité est d’ailleurs le motif de l’écriture d’Aurélia, si l’on considère comme Jean Rigoli
qu’il s’agit d’un récit de cure, écrite à l’intention du psychiatre de Nerval, le docteur Esprit Blanche.
Le sens du rêve comme seconde vie, au sens de « vie parallèle » coupée de la vie éveillée,
est ce qui a poussé les scientifiques de l’époque à considérer le rêve comme une folie. Moreau de
Tours, par exemple, dans son oeuvre Du Haschich et de l’aliénation mentale, considère qu’il existe
une altérité radicale entre vie éveillée et endormie, assimilant à le rêve à une folie intermittente. Ce
clivage de la personnalité à l’origine de la folie est également au coeur des théories de Taine ou de
Charcot. De plus, cette amalgame entre rêve et folie découle d’une conception du rêve qui le prive
de signification particulière, par une déscralisation qui le différencie du songe.
Chez Nerval comme chez Nodier, le rêve est indissociable d’un dépassement de la mort, ce
qui fait de la « seconde vie » du rêve une résurrection. Chez Nodier en effet, le chapitre XV de la
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