Le Banyan - Claudel
Commentaire de texte : Le Banyan - Claudel. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar m792 • 9 Mai 2016 • Commentaire de texte • 2 004 Mots (9 Pages) • 5 174 Vues
Le Banyan Claudel
Paul CLAUDEL, Connaissance de l'Est (1895-1900)
LE BANYAN : un poème en prose
Le banyan tire. Ce géant ici, comme son frère de l'Inde, ne va pas ressaisir la terre avec ses mains, mais, se dressant d'un tour d'épaule, il emporte au ciel ses racines comme des paquets de chaînes. A peine le tronc s'est-il élevé de quelques pieds au-dessus du sol qu'il écarte laborieusement ses membres, comme un bras qui tire avant le faisceau de cordes qu'il a empoigné. D'un lent allongement le monstre qui hale se tend et travaille dans toutes les attitudes de l'effort, si dur que la rude écorce éclate et que les muscles lui sortent de la peau. Ce sont des poussées droites, des flexions et des arcs-boutements, des torsions de reins et d'épaules, des détentes de jarret, des jeux de cric et de levier, des bras qui, en se dressant et en s'abaissant, semblent enlever le corps de ses jointures élastiques. C'est un nœud de pythons, c'est une hydre qui de la terre tenace s'arrache avec acharnement. On dirait que le banyan lève un poids de la profondeur et le maintient de la machine de ses membres tendus. Honoré de l'humble tribu, il est, à la porte des villages, le patriarche revêtu d'un feuillage ténébreux. On a, à son pied, installé un fourneau à offrandes, et dans son cœur même et l'écartement de ses branches, un autel, une poupée de pierre. Lui, témoin de tout le lieu, possesseur du sol qu'il enserre du peuple de ses racines, demeure, et, où que son ombre se tourne, soit qu'il reste seul avec les enfants, soit qu'à l'heure où tout le village se réunit sous l'avancement tortueux de ses bois les rayons roses de la lune passant au travers des ouvertures de sa voûte illuminent d'un dos d'or le conciliabule, le colosse, selon la seconde à ses siècles ajoutée, persévère dans l'effort imperceptible. Quelque part la mythologie honora les héros qui ont distribué l'eau à la région, et, arrachant un grand roc, délivré la bouche obstruée de la fontaine. Je vois debout dans le Banyan un Hercule végétal, immobile dans le monument de son labeur avec majesté. Ne serait-ce pas lui, le monstre enchaîné, qui vainc l'avare résistance de la terre, par qui la source sourd et déborde, et l'herbe pousse au loin, et l'eau est maintenue à son niveau dans la rizière ? Il tire.
Le recueil
Qu’est-ce que Connaissance de l’Est de Paul Claudel ? Une réponse exempte de tout jargon littéraire nous est fournie par l’auteur lui-même : « Ce livre a le caractère d’un album de dessins minutieux et très poussés. C’est un livre d’exercices. Ce n’est pas un recueil d’impressions, mais d’explications, de définitions, de mises au net… » Expliquer, définir, mettre au net : ce sont les verbes qui résument.
À plusieurs reprises, Claudel expliquera que l’enseignement principal qu’il avait retenu de Mallarmé était de se demander devant toute chose: « Qu’est-ce que cela veut dire? » Dans son entretien radiophonique avec Jean Amrouche, Claudel dit que cette remarque de Mallarmé l’a profondément marqué; Le Banyan, justement, paraît en juillet 1897 dans la « Revue Blanche », sur recommandation de Mallarmé, et sera repris dans Connaissance de l’Est. Claudel poursuit et dit à Amrouche: « Cet arbre comme le banyan ou ce spectacle tel que je le vois a une espèce de volonté secrète, de volonté latente qui vous pose une question somme toute – et à cette question nous sommes tentés de répondre: “qu’est-ce que ça veut dire?” » Contre tout matérialisme et vitalisme, évolutionniste ou romantique, contre toute philosophie de la volonté et du tragique à la Schopenhauer, mais aussi bien contre toute indifférence ontologique et expressivité généralisée et empathique, cette volonté cachée est la volonté du Créateur, du premier moteur immobile de l’aristotélisme scolastique.
Le rapport entre l’homme et l’arbre
L’homme est cet être qui, sortant de la terre, monte vers le ciel. Son image la plus juste sera donc l’Arbre et c’est sous ce titre de L’Arbre que Claudel a publié son premier recueil de drames, en 1901. Ce thème exigerait tout un livre, tant ses significations sont multiples ; ainsi, l’Arbre est, parfois, celui de la Croix où fut suspendu le Christ et c’est sur un arbre qu’est crucifiée la Princesse, dans Tête d’Or. Rappelons seulement le passage de cette pièce où Simon explique à Cébès qu’un arbre a été son père et son précepteur, et glorifie l’effort par lequel l’arbre, tétant la terre et y enfonçant ses racines larges et profondes, s’érige vers le ciel, où son feuillage frémit librement, « forme de Feu ». L’Arbre tient ainsi des deux éléments, la Terre et, sous sa forme la plus subtile, l’Air ; il est symbole cosmique et humain, image même de la Création :
La terre inépuisable dans l’étreinte de toutes les racines de ton être
Et le ciel infini avec le soleil, avec les astres dans le mouvement de l’Année, [...]
La terre et le ciel tout entiers, il les faut pour que tu te tiennes droit !
Dans Connaissance de l’Est, à propos du Pin, Claudel précisera : « L’arbre seul, dans la nature, pour une raison typifique, est vertical, avec l’homme. » Dans le même recueil, s’apprêtant à parler du cocotier, il remarque : « Tout arbre chez nous se tient debout comme un homme, mais immobile ; enfonçant ses racines dans la terre, il demeure les bras étendus. Ici, le sacré banyan ne s’exhausse point unique : des fils en pendent par où il retourne chercher le sein de la terre [...]. »
Le poème :
Dans le texte qui lui est consacré, le Banyan devient un véritable héros mythique. Il tire, il haie, comme « une hydre qui de la terre tenace s’arrache avec acharnement » et l’effort est « si dur que la rude écorce éclate et que les muscles lui sortent de la peau » ; les villageois l’honorent comme un « patriarche revêtu d’un feuillage ténébreux » ; le poète voit en lui « un Hercule végétal, immobile dans le monument de son labeur avec majesté ». A vrai dire, le thème de l’Arbre est universel et primordial ; on le retrouve dans les mythologies et les folklores ; Claudel mériterait sans doute d’occuper, ici, la plus grande place, et l’on constaterait l’accord spontané, profond de son génie avec le mythisme fondamental.
Le fait que « Le Banyan » soit extrait de Connaissance de l'Est n'autorise pas à lire ce poème en prose comme une description « exotique ». La structure fermée du texte avec une reprise à la clôture de la phrase simple qui en constituait l'ouverture, l'organisation des paragraphes en couplets (au sens où l'entend Suzanne Bernard) qui correspondent à des unités syntaxiques et sémantiques, le renversement à valeur poétique du verbe « pousser » communément utilisé pour désigner l'activité végétale, en « tirer », qui marque le point de départ d'une métaphore allégorisante, font basculer la perspective, et lui confèrent un statut poétique. Une lecture attentive montre également que les références mythologiques renvoient toujours à la tradition gréco-latine (évocation d'Hercule, allusion
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