La Place des Femmes dans La Nuit de Valognes d'Eric Emmanuel Schmitt
Étude de cas : La Place des Femmes dans La Nuit de Valognes d'Eric Emmanuel Schmitt. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Sofia C • 25 Avril 2019 • Étude de cas • 2 558 Mots (11 Pages) • 4 921 Vues
Sans les femmes, don Juan n’est rien. Dans l’œuvre originale les femmes sont souvent des victimes naïves, et bien qu’elles soient importantes dans l’affirmation de l’identité de don Juan, elles ne sont présentes que dans 7 scènes sur 27 de la pièce du XVIIe siècle. Dans La Nuit de Valognes d’Eric-Emmanuel Schmitt, une version réimaginée du mythe, la parole leur est donnée et ce sont elles qui dirigent la pièce. Elles sont meneuses du procès de don Juan, et nous pouvons de ce fait les rapprocher aux trois juges des Enfers dans la mythologie grecque : Rhadamanthe, Eaque, et Minos. Mais qui sont ces femmes et quel rôle ont-elles précisément dans ce récit?
Il y a 7 personnages féminins dans cette pièce de théâtre, appartenant chacune à différentes classes sociales. Leur point commun est don Juan : elles en sont toutes victimes. A l’exception de Marion, une servante qui est peu importante au récit, elles sont toutes réunies afin de juger cet homme qui les a trahies.
Tout d’abord, nous avons la Duchesse de Vaubricourt, une femme âgée qui tient le statut social le plus élevé des personnages de la pièce. C’est l’instigatrice du procès de don Juan, et c’est elle qui convoque les autres femmes à son manoir. C’est la marraine d’un autre personnage de la pièce, Angélique de Chiffreville, qu’elle souhaite condamner don Juan à marier. En effet, le but du procès est d’obtenir une réparation de la part du séducteur, réparation qui sera en réalité châtiment, la sentence étant déjà prononcée. Afin de forcer DJ à épouser Angélique, la Duchesse détient une lettre de cachet en blanc qui pourrait l’envoyer en prison jusqu’à la fin de ses jours. Entre une prison morale et une prison de pierre, elle est certaine qu’il choisira la première.
Ensuite, il y a la Comtesse de Roche-Piquet, de statut social légèrement moins élevé que la Duchesse, mais qui est extrêmement complice avec cette dernière, qui l’appelle « Ma chère Aglaé » . C’est une femme d’esprit, une langue de vipère qui cherche à blesser et rabaisser tout ce qui l’entoure. Elle se “dévoue au vice” depuis que don Juan la quittée, rupture qui la laisse encore amère et douloureuse. Elle vole d’homme en homme : “si l’on vous payait pour ce que vous faites, vous porteriez un bien vilain nom”, lui jette Mademoiselle de la Tringle, autre femme de la pièce, qui est l’auteur de nombreux romans, où elle peint des amours idéaux. Autrefois séduite par DJ, elle vit par procuration dans ces histoires. La Comtesse la méprise, lui disant que “ce sont peut-être des romans d’amour mais c’est ennuyeux comme la vertu. Mlle ne parle jamais des étreintes, de la chaleur des corps, de la fougue des retrouvailles… sans doute manque-t-elle totalement d’imagination… ou d'expérience.”
Une autre cible préférée de la Comtesse est Madame Cassin, épouse de M. Cassin, orfèvre de la rue royale à Paris. C’est la femme avec le plus bas statut social, à l’exception de la servante. Bien que les autres femmes ne semblent avoir aucune querelle avec elle, la traitant avec courtoisie, la Comtesse ne cesse de la rabaisser, notamment quand Mme Cassin déclare qu’elle est venue sur simple demande de la Duchesse, elle commente : “Naturellement, aux gens de ce monde on ne doit pas d’explication : il suffit de vous siffler.” Mme Cassin est la seule femme de la pièce à ne pas avoir gardé d’amertume suite à sa liaison avec DJ. Elle se dit heureuse et ne lui en veut pas : “il m’a prise… parce que je me suis donnée.”
Enfin, nous avons la Religieuse, la plus maladroite et comique des femmes. Son vrai nom est Hortense de Hauteclaire, mais elle s’est emmurée vivante dans un couvent à cause du chagrin que le libertin lui a causé. Ne pouvant pas l’épouser, elle a choisit d’épouser Dieu, devenant soeur Bertille-des-Oiseaux. Elle tente de jouer le rôle de médiatrice entre les femmes, parfois agressives, mais souvent sans trop de succès.
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Nous avons donc cinq femmes de statuts, professions, et personnalités très différentes. Cependant, face à don Juan, elles se ressemblent toutes. Même avant qu’il arrive, elles sont confrontées à un portrait du séducteur, et ont presque toutes la même réaction. La Comtesse est la première à apercevoir le tableau, et sa première réaction est la panique, bien qu’elle retourne vite à son attitude critique habituelle, regardant le tableau “d’un air mauvais”. Une didascalie nous indique qu’un orage se déclare à l’extérieur du château, ce qui serait emblématique du tourment intérieur qu’éprouve la Comtesse face à son ancien amant. La Religieuse, elle, est en détresse, et nie maladroitement de le connaître. Elle se met à paniquer, elle aussi, et passe de la joie à l’inquiétude, essayant même de s’en aller. La didascalie “au-dehors, l’orage bat son plein” nous indique qu’elle ressent le même tourment que la Comtesse. Mme Cassin, lorsqu’elle arrive et voit le portrait, est sur le point de l’évanouissement, dans un état de choc complet. Seule Mlle de la Tringle garde son calme, et feint l’indifférence. Pour faire cela, elle critique le tableau en terme de technique artistique, sans parler du sujet. Lorsque la Comtesse essaye de l’interroger, elle nie avoir connu don Juan. Elle continuera d’insister qu’elle ne le connaît pas même lorsque la Duchesse lui dit qu’elle en a vu les preuves dans le carnet de Sganarelle, mais elle se trahit toute seule lorsque Marion annonce l’arrivée de don Juan : elle est “glapissante”. Lors de cette annonce, la Comtesse, Mlle de Tringle, et la Religieuse réajustent leur toilette. Bien que la Duchesse, les réprimande, elle fait de même inconsciemment.
Lorsque don Juan arrive, la Duchesse lui présente les autres femmes comme ses victimes. Lui, cependant, nie voir la haine, l’amertume, ou l’envie de vengeance qu’on s’attendrait à voir dans le visage d’un victime, mais plutôt de la nostalgie, de la pudeur, et de la coquetterie. Elles cherchent toutes à attirer son attention, et même la Duchesse, la femme avec le plus d’autorité, qui dirige en théorie la pièce, tombe dans le piège, et se met à le flatter. Le séducteur dit n’en reconnaître aucune, apart la Duchesse, et, outrées, Mme Cassin, La religieuse, et la Duchesse se mettent toutes à raconter le même récit de séduction. On confirme alors que don Juan avait le même pouvoir sur toutes ces femmes: ses yeux brûlaient leur gorge, déchiraient leur robe, faisaient fondre le monde autour
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