La Femme gelée, lecture analytique.
Commentaire de texte : La Femme gelée, lecture analytique.. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar anounette • 19 Mai 2019 • Commentaire de texte • 3 802 Mots (16 Pages) • 2 296 Vues
La Femme gelée, lecture analytique.
Introduction :
Annie Ernaux naît en 1940 à Lillebonne puis passe son enfance et sa jeunesse à Yvetot en Normandie, dans une famille d’ouvriers devenus ensuite petits commerçants (ils tiennent un café-épicerie). Ses études supérieures de lettres et son métier d’enseignante créent un clivage avec son milieu d’origine : par le savoir, elle est passée de la classe des « dominés » à celle des « dominants »; le malaise qu’elle éprouve à l’impression de trahir les siens par sa culture croissante et la découverte d’autres modes de vie ou d’autres valeurs, le regard ambivalent qu’elle est obligée de porter sur ses parents, à la fois critique et admiratif, sont souvent évoqués dans ses livres. Elle publie en 1974 son premier roman, Les Armoires vides ; son œuvre devient de plus en plus autobiographique et explore son adolescence (Ce qu’ils disent ou rien, 1977) et l’ascension sociale de ses parents (La Place, prix Renaudot en 1984). Elle relate ses expériences de femme du XXe siècle, son avortement (L’Événement, 2000), l’échec de son mariage (La Femme gelée, 1981), une histoire d’amour (Passion simple, 1991). Tous ses livres, qualifiés par elle-même d’auto-socio-biographiques, mêlent l’intime et le social et atteignent au-delà du « Je » du narrateur, une portée beaucoup plus générale :
« Le Je que j’utilise me semble une forme impersonnelle, à peine sexuée, quelquefois même plus une parole de « l’autre » qu’une parole de « moi » : une forme transpersonnelle en somme. Il ne constitue pas un moyen de m’autofictionner, mais de saisir, dans mon expérience, les signes d’une réalité. »
Dans La Femme gelée, œuvre largement autobiographique, la narratrice montre les limites de l’émancipation féminine dans les années 60, pour comprendre comme une femme peut se trouver « encarcanée », dépossédée d’elle-même et de toutes ses aspirations. Mariée à un étudiant en droit pourtant plein de théories idéales sur l’égalité des sexes, elle est vite happée par un conditionnement imposé par la société et voit sa vie confisquée par toutes les tâches ménagères qu’elle est finalement seule à accomplir. Le lecteur observe la jeune femme pleine d’enthousiasme et de curiosité pour les études et l’avenir, perdre peu à peu son élan, ses propres désirs de liberté et devenir comme tant d’autres une « femme gelée ».
- Ce texte a une visée explicitement argumentative, Annie Ernaux formule clairement son objectif : « chercher comment on s'enlise », c'est une œuvre de réflexion sur le phénomène d'aliénation de la femme au sein du couple.
Problématique : De quelle manière ce texte dénonce-t-il l’inégalité au sein du couple ?
I En montrant comment les principes d’égalité sont anéantis par le poids de la société.
1 L’opposition entre l'idéal d'égalité et la réalité du quotidien.
- Le premier paragraphe montre comment le quotidien vient détruire l'idéal du « jeune couple moderno-intellectuel » qui présente toutes les apparences de l'égalité : il commence par une image idéale du couple d’étudiants égalitaire, avec le champ lexical de l’union : « ensemble », « la même pièce », « unis, pareils », « la ressemblance », pour les décrire égaux dans leurs études. La fin du texte évoque également cette égalité intellectuelle, « on a parlé ensemble de Dostoïevski ».
- Mais la réalité envahissante et matérielle vient faire irruption et perturber cette harmonie : tout d'abord par une personnification, « la cocotte-minute chantonne », mais ce bruit léger ne semble pas suffisant pour perturber les étudiants, qui restent « Unis, pareils ». Alors intervient un autre rappel du réel, avec une gradation du niveau sonore, un bruit beaucoup plus brutal, « Sonnerie stridente du compte-minute », cette fois ci qui déclenche un changement, une interruption des études avec une accumulation de verbes d'action, « se lève, arrête, attend, ouvre, passe » qui décrivent minutieusement tous les gestes de préparation du repas. La narratrice joue d’ailleurs sur l’effet de chute en employant d’abord le pronom indéfini, « l’un des deux »comme sujet de tous ces verbes, perpétuant encore l'illusion de l'égalité, comme si les deux membres du couple étaient égaux et interchangeables, avant d’asséner brutalement l’irruption de la différence dans une phrase réduite à un mot : « Moi », qui s'oppose au « nous » employé au début, suivie par une conclusion lapidaire, « Elle avait démarré, la différence », qui marque le point de départ de l’inégalité, avec la confection du repas. Le réel met donc fin aux rêves d’égalité en faisant resurgir la « différence » homme / femme.
- La réalité quotidienne est évoquée de façon extrêmement concrète et même brutale, essentiellement à travers la nourriture : Le texte est écrasé, comme la narratrice, sous une foule de détails matériels très précis, « la cocotte-minute », « le compte-minute », « les casseroles », « le supermarché », comme s’ils envahissaient les phrases, souvent nominales, par leur énumération: « à me plonger dans un livre de cuisine, à éplucher les carottes, laver la vaisselle », « des œufs, des pâtes, des endives, toute la bouffe », « de petits pois cramés en quiche trop salée », « les courses, l’aspirateur »... Ces détails reviennent tout au long du texte comme une obsession qui est celle éprouvée par la jeune femme: « Version anglaise, purée, philosophie de l’histoire, vite le supermarché va fermer, les études par petits bouts » ; cette phrase disloquée, avec l’alternance d’éléments renvoyant au monde intellectuel et d’éléments renvoyant au monde domestique, presque incohérente dans sa syntaxe, reflète la vie de la narratrice elle aussi sans cohérence, écartelée entre toutes ces préoccupations incompatibles, dont l’aspect abrutissant est souligné par l’assonance en [é] .
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