Ecriture d'invention - Pierrot

Le soleil se coucha, laissant sa place à l’astre nocturne étincelant. Si Rose remarqua qu’il était plein aujourd’hui, elle n’eut pas le cœur à l’admirer. La pauvre jeune femme ne pouvait s’empêcher de penser à Pierrot; ce pauvre Pierrot ! Il lui semblait l’entendre japper encore, comme si ses appels lointains venaient à elle. Allait-il bien, en ce moment ? Non, certainement pas. Peut-être s’était-il battu avec l’autre chien. Peut-être qu’il était mort…

Un cri d’horreur lui échappa, puis elle secoua la tête, comme pour oublier cette possibilité bien douloureuse. Pourtant, elle devait en avoir le cœur net; elle devait aller vérifier si Pierrot allait bien. Peut-être pourrait-elle même convaincre le puisatier de faire sortir de là cette petite bête.

Résignée, elle prit avec elle une paire de boucles d’oreilles en argent – la seule qu’elle avait – et sortit de la demeure de Madame Lefèvre, sous l’œil incrédule de celle-ci. Rose était un petit peu irrité par le manque de réaction de sa maîtresse quant au sort de Pierrot, mais s’était bien gardée de faire la moindre remarque. Pourtant, payer quatre misérables francs ne l’aurait pas tuée.

C’est sur cette pensée que Rose s’enfonça dans les ténèbres incongrues de la nuit, le pas pressé. Lorsque le froid lui mordit la peau, elle réalisa qu’elle avait oublié de prendre avec elle son manteau. Il lui tardait de regagner la chaleur réconfortante de sa couverture…

Elle soupira de soulagement lorsque, arrivée devant le puits, elle trouva le puisatier assis juste à côté, à deux doigts de s’endormir. Elle dût lui administrer une pichenette afin de le faire sortir des vapes.

« Qu-Quoi ? » bégaya-t-il en regardant le paysage autour de lui.

Ses petits yeux se plissèrent en rencontrant ceux de Rose, et il finit par lâcher.

« Ah mais j’vous reconnais ! Vous voulez toujours vot’ quin ? Quatre francs, m’dame ! »

Pour toute réponse, la jeune servante sortit de la poche de son tablier sa paire de boucles, et le regard du puisatier changea du tout au tout, passant de l’ennui à l’émerveillement. Il tendit le bras vers le trésor en argent, de la même manière qu’un lion prêt à bondir sur sa proie, et s’empressa de les ranger dans son habit déchiré, de peur que Rose ne les lui reprenne à nouveau.

Sans piper mot, il courut chercher son matériel et se dépêcha de faire sortir le pauvre quin de sa prison, non sans risquer de se faire mordre par un molosse aussi gros qu’un ours. Quoique… À ce prix-là, cela en valait vraiment la peine.

Lorsqu’il la vit, le chien courut vers Rose et se jeta dans ses bras dans un couinement. La jeune femme tournoya sur elle-même tout en l’enlaçant fortement, comme si elle craignait qu’il ne disparaisse à nouveau.

« Il ne disparaîtra pas », pensa-t-elle en souriant. « Je ne laisserai plus jamais quelqu’un me le prendre. »

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