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De l'amitié, Montaigne

Commentaire de texte : De l'amitié, Montaigne. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  8 Mars 2017  •  Commentaire de texte  •  1 615 Mots (7 Pages)  •  1 640 Vues

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« De l’amitié », I, 27 (adaptation André Lanly) Au demeurant, ce que nous appelons ordinairement amis et amitiés, ce ne sont que des relations familières nouées par quelque circonstance ou quelque utilité, par le moyen de laquelle nos âmes se tiennent unies. Dans l'amitié dont je parle, elles s’unissent et se fondent l'une en l'autre, dans une union si totale qu'elles effacent la couture qui les a jointes et ne la retrouvent plus. Si l’on me demande avec insistance de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne se peut exprimer, qu'en répondant : « Parce que c'était lui, parce que c'était moi. » Il y a, au-delà de tout mon exposé, et de tout ce que je puis dire particulièrement, je ne sais quelle force inexplicable qui vient du destin, la médiatrice de cette union. Nous nous cherchions avant de nous être vus, et même sur la foi de propos tenus [par des tiers] sur l’un et l’autre d’entre nous qui produisaient plus d’effet qu’il n’est normal pour de simples propos: je crois que le Ciel l’avait arrangé ainsi; nous nous embrassions en entendant prononcer nos noms. Et lors notre première rencontre, qui eut lieu par hasard en une grande fête et assemblée d’une ville, nous nous trouvâmes si épris, si connus, si liés entre nous, que rien dès lors ne nous fut si proche que nous l’étions l’un de l'autre. Il écrivit une satire latine excellente, qui est publiée, par laquelle il excuse et explique la promptitude de notre entente amicale, si vite parvenue à sa perfection. Devant si peu à durer, et ayant commencé si tard, (car nous étions tous deux hommes faits, et lui ayant quelques années de plus), elle n'avait pas à perdre de temps et à se régler sur le modèle des amitiés faibles et conventionnelles pour lesquelles il faut tant de précautions de longue et préalable fréquentation. Celle-ci n'a pas d'autre modèle idéal que [celui qui vient] d'elle-même, et elle ne peut être comparée qu’à elle même. Ce n'est pas un point de vue spécial [sur l’amitié], ni deux, ni trois, ni quatre, ni mille : c'est je ne sais quelle quintessence de tout ce mélange, qui ayant saisi toute ma volonté, l’amena se plonger et à perdre dans la sienne ; qui, ayant saisi toute sa volonté, l'amena se plonger et se perdre en la mienne, avec une faim, avec une ardeur pareille. Je dis perdre, véritablement, nous ne nous réservions rien qui nous fût propre, ni qui fût ou sien, ou mien. Madame Potter-Daniau – année scolaire 2014-2015 Première L Synthèse : « De l’amitié » Introduction : Cette amitié que Montaigne aborde et interroge dans ce texte joue un rôle central dans l’écriture des Essais (1571-1592). Ses dialogues avec la Boétie étaient déterminants dans sa réflexion voire dans la perception de lui-même, et sa mort restera pour Montaigne un évènement marquant et particulièrement douloureux. Ce n’est que quelques années plus tard que l’auteur se retirera définitivement de la vie publique et se consacrera au repos studieux, à l’otium studiosus, et à la rédaction des Essais. Ainsi le décès de son ami peut être vu comme l’élément déclencheur de son œuvre, passant d’un discours oral à une réflexion intériorisée. Mais comment l’auteur appréhende une relation si déterminante sur le plan intellectuel ? Comment et par quels moyens réussit-il à restituer sa pensée à ce sujet ? – Une amitié extraordinaire Montaigne met en avant son amitié singulière avec la Boétie en la distinguant des autres, plus traditionnelles. Ainsi les deux premières phrases sont en opposition l’une par rapport à l’autre. La première s’attache « à ce que nous appelons ordinairement amis et amitiés », elle nie leur importance et leur véracité en les restreignant par la forme restrictive : « ce ne sont que », les cantonnant à une fonction simplement utilitaire : « quelque utilité, par le moyen ». Au contraire, l’amitié véritable décrite dans la deuxième phrase est d’un tel degré de perfection que les deux amis sont dans un état de symbiose, de fusion, comme le montre les termes « s’unissent, se fondent ». Plus loin Montaigne établit de nouveau un parallèle dans la phrase « elle n’avait pas à perdre de temps et à se régler sur le modèle des amitiés faibles et conventionnelles ». Il s’agit cette fois-ci d’aller plus loin et d’expliquer les raisons de cette perfection si vite atteinte, arguant une relation qui n’a pas le temps de s’embarrasser par la lenteur des premières rencontres. Paradoxalement, Montaigne écrit « elle [l’amitié] ne peut être comparée qu’à elle même », montrant les limites de cette confrontation et la nécessité de trouver d’autres procédés visant à fortifier sa vision ainsi exposée. Il trouve cette amitié si parfaite qu’il fait appel à une force supérieure pour la justifier, parlant de « force inexplicable qui vient du destin, la médiatrice de cette union ». Le mot « destin » renvoie à l’idée de fatalité, d’une rencontre prédestinée, comme l’auteur le reprend juste après : « nous nous cherchions avant de nous être vus ». De même leur rencontre fortuite, « par hasard » rend compte de cette conception divine de l’amitié. L’idée revient plus loin avec « le Ciel l’avait arrangé ainsi » : la majuscule au début du mot et la voix active utilisée suggère que l’auteur s’en remet à une quelconque intervention divine. La force de cette relation est traduite par une suite d’adjectifs, par une énumération amplifiée par des adverbes intensifs : « si épris, si connus, si liés ». La formulation « une union si totale » se base sur ce même procédé, renforçant cette intensité de la relation, et la métaphore comparant l’amitié à une couture amplifie cela : « elles effacent la couture qui les a jointes et ne la retrouvent plus». La répétition de la conjonction de coordination « ni » dans « ni deux, ni trois, ni quatre, ni mille » permet d’insister sur l’unicité de cette amitié. C’est enfin la phrase: « Parce que c’était lui, parce-que c’était moi » qui à travers le parallélisme de sa construction, exprime la fusion des individus, l’alchimie (idée de chimie reprise par les mots « quintessence » et « mélange »). L’usage de deux propositions relativement courtes et du connecteur logique de cause « parce que » appuie la vérité générale, la conception inébranlable en une amitié parfaite, réelle et tangible. L’équilibre parfait de cette amitié est aussi rendue par les parallélismes de construction « ayant saisi toute ma volonté, l’amena se plonger et se perdre dans la sienne; qui ayant saisi toute sa volonté, Madame Potter-Daniau – année scolaire 2014-2015 Première L l’amena se plonger et se perdre en la mienne… », repris plus loin « qui ne fût ou sien, ou mien ». On perçoit ici le caractère presque aliénant de cette relation, qui pourrait s’apparenter à la passion amoureuse, puisque la volonté y est soumise à l’autre, comme l’évoque aussi “la faim” et “l’ardeur” évoquées dans cette même phrase. – Une confession De la sincérité totale propre à l’auteur dans ses Essais, du pacte autobiographique auquel il s’astreint, résulte un texte écrit sous forme de confession. Cela se manifeste tout d’abord dans la difficulté qu’il a à s’exprimer : « je sens que cela ne peut s’exprimer ». Notons le verbe « sentir » qui relève du ressenti de l’auteur, illustrant sa présence dans le texte. Voulant livrer le fond de sa pensée, il tente par de nombreux procédés de définir cette amitié si parfaite à ses yeux, comme traité plus haut. La modalisation du texte montre son implication sur ce sujet : le « je » est très présent, et l’auteur utilise les verbes « croire » et « savoir » ainsi que les pronoms possessifs « mon » et « mes ». La dimension autobiographique est appuyée par l’auteur, qui situe le lieu de sa rencontre avec la Boétie « notre première rencontre, qui eut lieu par hasard en une grande fête et assemblée d’une ville ». L’auteur ressent également le besoin de justifier, aux yeux de son lecteur, la rapidité de cette amitié. Il mentionne un ouvrage de La Boétie, qu’il a lui même publié en 1571, Ad Michaelem Montanum ou La Boétie justifie « a promptitude de notre entente amicale, si vite parvenue à sa perfection ». Il devait y avoir dans cette relation quelque chose qui ne respectait pas les conventions et les « précautions de longue et préalable fréquentation » La justification vient de Montaigne lui même, et est discrètement lyrique « devant si peu à durer, et ayant commencé si tard »: les deux adverbes intensifs rappellent la brièveté de cette amitié parfaite. En cela c’est aussi un extrait très touchant, où le lyrisme affleure « je l’aimais », « rien dès lors ne nous fut si proche que nous l’étions l’un de l’autre ». – Une amitié humaniste? La notion de perfection, comme développée plus haut, n’est pas sans rappeler les conceptions humanistes de cette époque qui idéalisaient un modèle antique mais aussi l’homme en général. Ainsi les penseurs de ce mouvement croyaient en lui, l’humain comme reflet de la perfection divine (deux points largement étayés dans cet extrait). De plus, l’idée d’une relation fusionnelle rejoint le concept de l’homme au centre de tout. Montaigne manifeste une vision idéalisée et profondément humaniste, presque dépassée dans une époque qui se situe déjà à la fin de ce mouvement, dans une période de troubles (avec notamment les guerres de religions) où la vision humaniste s’assombrit et devient plus engagée, annonçant déjà l’avènement du baroque. Questions possibles Comment Montaigne présente-t-il l’amitié? En quoi ce texte est-il émouvant?

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