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Fondement et régime de l'obligation de sécurité

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Par   •  16 Mars 2015  •  5 441 Mots (22 Pages)  •  1 671 Vues

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Fondement et régime de l'obligation de sécurité

Yvonne Lambert-Faivre

L'aube du XXe siècle nimbait les espoirs de l'homme moderne des bienfaits de la science ; son crépuscule les tempère des craintes engendrées par les risques d'une technologie dont les incontestables avantages sont payés d'un lourd tribut de risques.

Dès les années 1911/1913, la jurisprudence inventait le concept d'obligation de sécurité (1) qui protégeait la faiblesse de l'homme vulnérable devant des forces techniques susceptibles de porter atteinte à son intégrité physique.

Depuis lors, le concept a fait florès : analysé et généralement approuvé par la doctrine (2), il a essaimé de la jurisprudence du contrat de transport de personnes à une foule d'autres contrats dont l'énumération décourage l'analyse ; enfin il est devenu emblématique dans maints textes de législation nationale et internationale (3) où la « sécurité » devient le maître-mot de la norme juridique.

Un tel engouement ne va pas sans ambiguïtés, confusions, approximations et contestations diverses ; dans ces errements, la pensée juridique cherche son fil d'Ariane : cette brève chronique tente seulement de proposer la voie d'un fondement univoque, celui de l'obligation naturelle du respect de l'intégrité physique d'autrui (I) imposant la sanction d'une responsabilité objective uniforme lorsque des dommages corporels sont causés par le non-respect de l'obligation déterminée de sécurité qui s'impose à tous (II).

I. - L'obligation de sécurité est fondée sur l'obligation naturelle du respect de l'intégrité physique d'autrui.

La sécurité des personnes est l'un des pôles fondamentaux de l'organisation de toute vie en société ; l'exigence de sécurité (ou « sûreté ») personnelle relève du droit naturel, comme Grotius le soulignait justement, et l'intégrité physique de la personne humaine est une valeur universellement reconnue dans le temps et dans l'espace : elle a des racines ontologiques profondément ancrées dans toutes les civilisations et, dès les droits les plus primitifs, son atteinte était sanctionnée par les peines impitoyables illustrées par la loi du Talion biblique (Exode 21-23 ; Deuteronome 19 -21).

A l'époque moderne, la sécurité des personnes est une exigence exprimée notamment par la Déclaration universelle des droits de l'homme qui proclame que « tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté des personnes » (art. 3).

Cependant le XXe siècle technologique marque une modification des sources d'insécurité qui explique l'accent nouveau mis sur l'indemnisation des victimes : alors que naguère l'insécurité quotidienne relevait essentiellement d'une criminalité ordinaire sanctionnée par le droit pénal, l'insécurité moderne de nos civilisations industrielles est d'abord due aux dérapages accidentels d'une technologie aussi dangereuse que performante. Dès lors l'impératif juridique met l'accent sur la protection et l'indemnisation de la personne, victime moins de la malignité humaine (toujours sanctionnée par le droit pénal), que d'activités ou de choses échappées à la maîtrise de l'apprenti-sorcier qui s'était rêvé Prométhée : à titre indicatif, sur 526 201 décès enregistrés en France en 1990, 85 105, soit 16,17 % étaient dus à des causes accidentelles (hors suicides), dont seulement 614 à des homicides (4).

Cette insécurité technologique est d'autant plus fortement ressentie que la philosophie politique mondiale met emphatiquement l'accent sur les « droits » de l'homme (même si l'épais silence sur les « devoirs » corrélatifs permet qu'en soit bafoué le plus élémentaire respect) ; le droit à la sécurité est ainsi devenu un « droit de l'homme » proclamé dans de multiples documents et textes internationaux et nationaux.

Ce fondement ontologique de l'obligation de sécurité née du droit naturel transcende les clivages et les catégories traditionnelles du droit des obligations, et en particulier celles de la distinction entre responsabilité contractuelle et délictuelle, et entre obligation de moyens et obligation de résultat.

A. - L'obligation de sécurité transcende la distinction entre responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle.

Le droit des obligations ne se réduit pas aux seules obligations contractuelles, et pourtant l'obligation de sécurité, forgée dans le contexte du contrat de transport de personnes, est généralement entendue comme ayant son seul champ d'application en matière de responsabilité contractuelle ; cette analyse réductrice doit aujourd'hui être remise en question.

Certes le contrat fait la loi des parties ; l'engagement contractuel apparaît donc comme la source juridique la plus immédiatement perçue du droit des obligations et, selon notre tradition doctrinale, l'obligation de sécurité source de responsabilité civile est par nature contractuelle, quel que soit par ailleurs le type de contrat (5) : contrat de transport par terre, par mer ou par air (6), avec toutes ses extensions fantaisistes à cheval, en télésiège, en bob-luge, en remonte-pente, en toboggan aquatique etc., contrat d'hôtellerie ou de restauration, contrat médical, contrat de prestation de services d'agences de voyage etc.

Cependant la réalité d'un impératif juridique de sécurité hors du seul cadre contractuel s'induit d'abord de l'indétermination jurisprudentielle de la frontière entre responsabilité contractuelle et délictuelle, ensuite du champ d'application univoque de maintes législations modernes, enfin du régime même de la responsabilité civile délictuelle.

1. - Les errements jurisprudentiels entre responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle (7).

Théoriquement, la responsabilité civile contractuelle (art. 1146 et s. c. civ.) a pour objet l'indemnisation des dommages causés à un cocontractant du fait de l'inexécution ou de la mauvaise exécution des obligations nées d'un contrat, tandis que la responsabilité civile délictuelle (art. 1382 et s. c. civ.) a pour objet l'indemnisation des dommages causés à un tiers, et la clarté de la distinction fonde le principe dit du non-cumul des deux ordres de responsabilité,

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