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Littérature et politique dans "Notre Jeunesse", de Charles Péguy

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Par   •  10 Février 2022  •  Commentaire d'oeuvre  •  3 508 Mots (15 Pages)  •  255 Vues

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Littérature et politique

Charles Péguy, Notre Jeunesse, 1910

Les rapports entre littérature et politique sont marqués, dans Notre Jeunesse, d’une double difficulté que pose la terminologie : d’une part, la notion même de littérature interroge, puisque Péguy ne fait pas œuvre. Lui-même, se disant noyé « dans les misères du présent », représente les Cahiers de la Quinzaine comme un travail collectif et de nature journalistique. Il faut garder à l’esprit, en ce sens, que sa lecture aujourd’hui, voir son insertion dans le canon des œuvres littéraires et philosophiques, n’est tributaire que des longues polémiques l’ayant récupéré successivement sur les rang de la droite et de la gauche.

Le terme de politique est lui aussi difficile ; puisqu’il amalgame un substantif à un qualificatif, soit un type de discours à un contenu. La substantification de l’adjectif n’est pas anodine, et montre l’ambivalence du projet de cet ouvrage qui livre une pensée tout autant politique, c’est-à-dire politisée, (en prenant parti pour la cause Dreyfusarde), que sur la politique, c’est-à-dire s’excluant pour mieux le penser de l’univers politique de son temps. C’est en ayant conscience de ce double problème que la lecture de Charles Péguy révèle la singularité de ce texte, à l’image, sans doute, de la complexité de l’homme.

Notre jeunesse est écrit à l’occasion de la parution des archives de la famille Milliet, dont les Cahiers de la Quinzaine doivent assurer la publication : c’est pour Péguy le moyen de redéfinir et de réaffirmer sa foi républicaine, en revenant sur « l’Affaire », dont il a été l’un des premiers acteurs.

I – Fidélité et Utopie : un acte de foi républicain

Espérance et responsabilité

En quittant les rangs des socialistes, Charles Péguy se condamne aux yeux de ces anciens condisciples, croyant voir dans sa nouvelle posture, patriote puis chrétienne, le germe d’une crispation identitaire. Sa rupture avec Jean Jaurès cristallisera longtemps cette « trahison », et colorera son héritage intellectuel d’une certaine ambivalence, des premiers intellectuels de l’Action Française qui tenteront de lui attribuer un discours d’extrême droite ; aux militants communistes de la gauche résistante de 1940.

Là où nombres d’admirateurs et de détracteurs voient dans son parcours une succession de ruptures, de changements idéologiques, il défendra jusqu’au bout la cohérence de son cheminement spirituel et intellectuel : il ne reconnaitra ni « conversion » au catholicisme, ni trahison du socialisme, sa foi première, mais un simple approfondissement de la solidarité sociale en une autre solidarité, spirituelle et chrétienne. En abandonnant le communauté du peuple pour la communion des saints, il quitte l’idéal de la cité harmonieuse, celui de l’accomplissement de l’homme par et dans la politique – c’est-à-dire le salut de l’homme par l’homme – pour revenir au sens de l’extrême fragilité des choses ; soit, selon les termes de Hans Jonas, le « principe espérance » pour le « principe responsabilité[1] ». C’est précisément de cette attention à l’héritage reçu que Péguy tire la célébration de la culture et de l’éducation, et ceci dès 1902, dans son De Jean Coste :

Il ne faut pas que l’instituteur soit dans la commune le représentant du gouvernement, il convient qu’il y soit le représentant de l’Humanité. […] il est le seul et l’inestimable représentant des poètes et des artistes, des philosophes et des savants, des hommes qui ont fait et qui maintiennent l’humanité, il doit assurer la représentation de la culture, c’est pour cela qu’il ne doit pas assurer la représentation de la politique, parce qu’il ne peut pas cumuler les deux représentations.

Prolongée, et approfondi cette fois sur un ton pathétique dans Notre Jeunesse, où cet engagement est spiritualisé et dramatisé :

C’est un spectacle admirable que (celui que) donnent tant de professeurs de l’enseignement secondaire, pauvres, petites gens, petits fonctionnaires, exposés à tout, sacrifiant tout, luttant contre tout, résistant à tout pour défendre leurs classes. Luttant contre tous les pouvoirs, les autorités temporelles, les puissances constituées. […] Pourquoi. Par une indestructible probité. Par une indestructible piété.

Charles Péguy, Notre Jeunesse, 1910

Bien plus que la défense érudite d’un élitisme intellectuel aux formes d’un manifeste pour la culture, Péguy assume ici une redéfinition en profondeur de la laïcité : alors que la laïcité repose traditionnellement sur l’opposition du temporel et du spirituel, soit classiquement de la foi et de la raison, Péguy délivre le spirituel du carcan où la politique laïque, si chère à la IIIe république, l’avait reclus : le spirituel n’appartient pas entièrement à la religion. Il y a une vie intérieure laïque, une vie de l’esprit comme le dira Bergson[2], qui ne saurait se confondre avec la foi religieuse, et qui fait la communauté de tout un peuple, l’identité d’une « race » – alors conçue comme communauté des morts et des vivants. L’héritage, la conscience d’habiter un monde reçu d’autres que nous, est précisément cette « indestructible piété », cette vie intérieure, que Péguy nomme la culture.

Mystique et politique

Ce que Péguy nomme « la mystique » est précisément une vie de l’esprit, qui doit sa profondeur à l’héritage dont elle est issue. Tout reniement du passé est une dégradation de la mystique, une « démystication » qui équivaut à une perte de foi, guettant tous ceux qui, comme lui dans les premières années de sa vie intellectuelle, sacrifient la responsabilité de l’héritage au profit de l’utopie d’un accomplissement final, en l’occurrence socialiste, de l’humanité :

C’est du même mouvement profond, d’un seul mouvement, que ce peuple ne croit plus à la République et qu’il ne croit plus à Dieu, qu’il ne veut plus mener la vie républicaine, et qu’il ne veut plus mener la vie chrétienne, (qu’il en a assez), on pourrait presque dire qu’il ne veut plus croire aux idoles et qu’il ne veut plus croire au vrai Dieu. La même incrédulité, une seule incrédulité atteint les idoles et Dieu, atteint ensemble les faux dieux et le vrai Dieu, les dieux antiques, le Dieu nouveau, les dieux anciens et le Dieu des chrétiens. Une même stérilité dessèche la cité et la chrétienté. La cité politique et la cité chrétienne. La cité des hommes et la cité de Dieu.

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