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Commentaire d'un extrait d'Amers de Saint-John Perse : Invocation 5

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Par   •  24 Février 2024  •  Commentaire de texte  •  3 210 Mots (13 Pages)  •  189 Vues

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Amers de Saint-John Perse

Analyse de « Invocation V »

Ijjou CHEIKH MOUSSA

… Or il y avait un si long temps que j’avais goût de ce poème, mêlant à mes propos du jour toute cette alliance, au loin, d’un grand éclat de mer — comme en bordure de forêt, entre les feuilles de laque noire, le gisement soudain d’azur et de ciel gemme : écaille vive, entre les mailles, d’un grand poisson pris par les ouïes !

Et qui donc m’eût surpris dans mon propos secret ? gardé par le sourire et par la courtoisie ; parlant, parlant langue d’aubain parmi les hommes de mon sang — à l’angle peut-être d’un Jardin Public, ou bien aux grilles effilées d’or de quelque Chancellerie ; la face peut-être de profil et le regard au loin, entre mes phrases, à tel oiseau chantant son lai sur la Capitainerie du Port.

Car il y avait un si long temps que j’avais goût de ce poème, et ce fut tel sourire en moi de lui garder ma prévenance : tout envahi, tout investi, tout menacé du grand poème, comme d’un lait de madrépores ; à son afflux, docile, comme à la quête de minuit, dans un soulèvement très lent des grandes eaux du songe, quand les pulsations du large tirent avec douceur sur nos aussières et sur nos câbles.

Et comment il nous vint à l’esprit d’engager ce poème, c’est ce qu’il faudrait dire. Mais n’est-ce pas assez d’y trouver son plaisir ? Et bien fût-il, ô dieux ! que j’en prisse soin, avant qu’il ne nous fût repris … Va voir, enfant, au tournant de la rue, comme les Filles de Halley, les belles visiteuses célestes en habit de Vestales, engagées dans la nuit à l’hameçon d’ivoire, sont promptes à se reprendre au tournant de l’ellipse.

Morganatique au loin l’Epouse, et l’alliance, clandestine ! … Chant d’épousailles, ô Mer, sera pour vous le chant : “ Mon dernier chant ! mon dernier chant ! et qui sera d’homme de mer…” Et si ce n’est ce chant, je vous le demande, qu’est-ce qui témoignerait en faveur de la Mer — la Mer sans stèles ni portiques, sans Alyscamps ni Propylées ; la Mer sans dignitaires de pierre à ses terrasses circulaires, ni rang de bêtes bâtées d’ailes à l’aplomb des chaussées ?

Moi j’ai pris charge de l’écrit, j’honorerai l’écrit. Comme à la fondation d’une grande œuvre votive, celui qui s’est offert à rédiger le texte et la notice ; et fut prié par l’Assemblée des Donateurs, y ayant seul vocation. Et nul n’a su comment il s’est mis à l’ouvrage : dans un quartier, vous dira-t-on, d’équarrisseurs ou de fondeurs — par temps d’émeute populaire — entre les cloches du couvre-feu et les tambours d’une aube militaire.

Et au matin déjà la Mer cérémonielle et neuve lui sourit au-dessus des corniches. Et voici qu’en sa page se mire l’Etrangère… Car il y avait un si long temps qu’il avait goût de ce poème ; y ayant telle vocation… Et ce fut telle douceur un soir de lui marquer sa prévenance ; et d’y céder, telle impatience. Et le sourire aussi fut tel de lui prêter alliance… “ Mon dernier chant ! mon dernier chant ! et qui sera d’homme de mer… »

Introduction

« …Or il y avait un si long temps… » est le 5ème chant de la première section d’Amers, « Invocation », que Saint-John Perse présente ainsi :

« La première partie du poème (« Invocation ») n’est qu’un prologue. Elle introduit la pensée du Poète et justifie son thème libérateur : le recours à la Mer comme source d’animation et de recréation – la Mer de toute instance et de toute assistance, auxiliatrice et médiatrice autant que révélatrice – au cœur même de l’homme. Ayant évoqué d’abord tout ce que la Mer élève d’exceptionnel dans l’homme, le Poète se dispose à l’état de grâce pour mieux accueillir une telle intercession. Il définit la démarche et l’engagement spirituel du poème, l’évolution terrestre au pourtour de la Mer comme une marche solennelle autour de l’autel. Puis attestant sa vocation personnelle à la conduite d’une telle entreprise, et rappelant la genèse du poème, il salue la participation de la Mer elle-même à cette œuvre créatrice. »[1]

Après l’attente et la veille poétiques au pourtour de la Mer, « Invocation V » vient pour raconter l’avènement du poème et la vocation du poète.  Trois points de suspension suivis de la conjonction « or » ouvrent ce chant. Ils établissent un lien étroit avec les chants qui précèdent et suggèrent que le Dire poétique est antérieur à l’écrit.  

  1. Mouvement du chant 

Mouvement tripartite suivant le schéma de l’ode pindarique : une strophe, une anti-strophe et une épode à titre récapitulatif ; mouvement qui suit le mouvement même de la création poétique :

1ère partie : La naissance du poème. Elle s’étend sur 3 strophes : « …Or il y avait un si long temps…sur les câbles » ;

2ème partie : La fonction du poète. Elle occupe 3 strophes : « Et comment…aube militaire. » ;

3ème partie :  La voix du Chœur qui rapporte l’inscription de la Mer sur la page du poète (dernière strophe): « Et au matin… d’homme de mer… ».

La progression entre les trois parties est soulignée par le marqueur de continuité « Et » en tête de la 2ème et de la 3ème partie.  

La symbolique des nombres : 7 (7 strophes), 3 (3 parties dont les deux premières ont chacune 3 versets), et 1 (dernière partie), suggère la sacralité de l’acte poétique (Voir à ce sujet Allocution au banquet Nobel)  

  1. La naissance du poème

« … Or il y avait un si long temps que j’avais goût de ce poème, mêlant à mes propos du jour toute cette alliance, au loin, d’un grand éclat de mer ».  

A l’origine du poème un « goût », un désir de combler un manque, de restaurer l'union perdue entre l'homme et le cosmos, entre l’âme humaine et l’âme universelle, ou, comme dirait Michel Foucault[2], entre les mots et les choses. Ce désir habitait le poète depuis longtemps.  L’emploi de l’archaïsme « long temps », à la place de « longtemps », et de l’intensif « si » ont pour effet de rendre l’impression de la durée, tandis que l’emploi de l’article indéfini « un si long temps » suggère l’impossibilité de dater avec précision le moment de l’émergence de ce désir et de l’appel mystérieux du poème.  

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