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Commentaire de "La Colombe poignardée et le jet d'eau" d'Apollinaire

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Par   •  8 Novembre 2018  •  Commentaire de texte  •  3 166 Mots (13 Pages)  •  4 359 Vues

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Guillaume Apollinaire,  « LA COLOMBE POIGNARDÉE ET LE JET D’EAU », Calligrammes, Poèmes de la paix et de la guerre (1913-1916), recueil publié en 1918

Guillaume Apollinaire : poète novateur du début du XXème. Sa recherche de modernité poétique se manifeste dans le recueil Alcools publié en 1913, aussi bien dans l’écriture (il fait notamment disparaître la ponctuation) que dans les thèmes abordés.  C’est aussi un critique d’art reconnu, ami des peintres cubistes comme Picasso et Braque,  et son désir d’explorer également dans la littérature les voies nouvelles offertes en peinture s’affirme dans ses fameux Calligrammes publiés en 1918, œuvre composée en majeure partie pendant la guerre où il s’est volontairement engagé.

En quoi ce poème « La Colombe et le Jet d’eau » extrait du recueil Calligrammes montre-t-il ce que doivent être la poésie et le poète pour Apollinaire ?

Annonce du plan : Nous étudierons d’abord… puis… et nous verrons enfin… [ce qui n’est pas le mieux mais a le mérite d’être clair]

I – Un calligramme polysémique : un poème-dessin ou un dessin-poème ?

II – Un poème élégiaque : le témoignage d’une vie

III – Un manifeste poétique : un poème exprimant la conception de la poésie et le rôle du poète

I – Un calligramme polysémique : un poème-dessin ou un dessin-poème ?

  Calligramme est un néologisme [= mot inventé] par Apollinaire. Il est l’aboutissement d’une réflexion sur les idéogrammes [signes graphiques qui représentent à la fois un son ou un mot et une notion, comme les idéogrammes chinois ou les hiéroglyphes des Egyptiens], premier nom (idéogrammes lyriques) qu’il avait donné à cette nouvelle forme de poèmes. Le mot se compose de racines grecques kallos, « beau », et gramma, « lettre, écrit », et signifie donc « bel écrit » ou, à la limite, « poème qui donne à voir de la beauté ».

La pratique des poèmes figurés est ancienne mais reste très différente de la recherche d’Apollinaire : ces poèmes [dans l’antiquité ou chez Rabelais, au 16ème siècle]  consistaient à jouer sur la longueur des vers afin d’obtenir un dessin représentant un objet en relation directe avec le contenu du texte.

  1. Fonctionnement du calligramme
  • Calligramme = objet nouveau car au lieu de la linéarité habituelle d’un poème (lecture horizontale du vers puis déplacement vertical de l’œil pour lire les vers suivants), le calligramme oblige à une appréhension simultanée du dessin et du texte en même temps, avec des va-et-vient incessants entre l’image et le texte pour faire le lien, qui ne semble pas évident, entre les deux dessins
  • Mise en page : œil guidé par la symétrie du dessin, invité naturellement à descendre du « C » de la colombe au « ? » du jet d’eau puis au « O » du bassin de la fontaine à cause de leur taille (sortes de lettrines)

Mais on peut hésiter sur l’ordre de lecture : vers composant la fontaine à lire de gauche à droite de part et d’autre du « ? » ou en colonne, la gauche puis la droite ?

Et une fois en bas de la page, on remonte le long du jet en suivant son mouvement ascendant si bien que l’on n’a plus l’impression de voir une colombe posée mais une colombe qui s’envole → hésitation

  • Recherche sur la typographie [choix des types de caractères d’écriture, de leur taille, présentation etc.] : variété des polices (taille croissante dans la queue de la colombe, type différent à certains endroits, dans le bassin, « CEUX QUI SONT PARTIS A LA GUERRE… » en petites majuscules dans la fontaine…), alternance de minuscules et majuscules (ailes), lignes courbes où les mots finissent parfois décomposés en lettres qui se succèdent verticalement (« naguère »…), premier vers brisé par la courbe et la lettrine…
  1. Composition et interprétation
  • Importance du titre qui permet de reconnaître les motifs et oriente le regard et la lecture
  • Colombe poignardée : de fait, cette expression désigne une espèce de pigeon portant sur la poitrine une tache évoquant une blessure. Mais la disposition du premier vers et du mot « poignardée » évoque à la fois la tête de la colombe inclinée (C correspondant à son cou) et le manche d’un poignard.  Les ailes de la colombe sont déployées, soit parce qu’elle est étendue, terrassée, au sol, soit parce qu’elle jaillit au-dessus du jet d’eau, dans le même mouvement que celui-ci. Oiseau symbolique de la paix et de l’amour, mais aussi de l’esprit saint : syllepse du motif, suggérant à la fois la paix poignardée, donc la guerre, les amours (« douces figures ») perdues, et le contact avec le divin ou le beau (« s’extasie »).
  • Jet d’eau : amené par le texte lui-même (« près d’un jet d’eau ») ; suggère à la fois un mouvement vertical ascendant (« jaillissent vers le firmament ») suggérant l’espoir et une chute dans la fontaine (« Le soir tombe ») suggérant  la tristesse. D’ailleurs,  « le jet d’eau » « qui pleure » (début) « sur ma peine » (fin) invite à l’interpréter aussi comme des pleurs, en rapport avec les amis disparus.
  • Bassin de la fontaine : ovale, ce peut être aussi un œil qui pleure avec sa pupille « O » (« vos regards en l’eau dormant » repris par « aux yeux gris »), ou une bouche (« chères lèvres » au début) ouverte pour prononcer le « O » de la plainte mélancolique. Si l’on retourne la feuille, l’œil versant des larmes est évident.

→ Le dessin et le texte s’enrichissent mutuellement : polysémie [=plusieurs sens] du calligramme

  1. La musique du poème
  • Repérage de rimes : en –rie (« fleuries, LORIE, MARIE, prie ») avec un écho dans « filles » qui amène une assonance en –i (« qui, prie, s’extasie »), dans la colombe ; en –ère (« naguère, guerre »), -ment (« firmament, dormant, mélancoliquement »), -ob (« Jacob, aube »), -ize (« Dalize, mélancolisent, église »), -gea (« s’engagea, déjà »), -eine (« pleine, peine ») dans le jet d’eau, dont certaines sont reprises dans le bassin, disposées en chiasme (« guerre, maintenant, abondamment, guerrière », où l’on n’a plus qu’une assonance en –an au lieu d’une rime)
  • Repérage de rythmes reconnaissables : octosyllabes notamment, surtout dans le jet d’eau, et le bassin, grâce aux rimes ci-dessus
  • Abondance d’assonances en i, en a, et d’allitérations en m dans les prénoms féminins du début
  • Jeu sur le son « O » dans le bassin : jet d’eau/jet d’O

→ Le calligramme se veut un poème total, mêlant à sa lecture les sens fondamentaux pour l’expression artistique : la vue (écriture et peinture) et l’ouïe (musique)

II – Un poème élégiaque : le témoignage d’une vie

  1. Le registre élégiaque : l’expression de la plainte douloureuse et de la mélancolie
  • La musicalité évoquée plus haut est importante dans la poésie élégiaque.  Et l’assonance en –i , reprise abondamment dans le jet d’eau, peut faire penser à un gémissement
  • Champ lexical de la mélancolie : « mélancoliquement », le néologisme « se mélancolisent »
  • Champ lexical de la nostalgie, du souvenir : « naguère », « souvenirs » x2
  • Champ lexical de la tristesse : « pleure »x2,  « peine », de la souffrance « saigne »
  • Evocation de l’âme : « De souvenirs mon âme est pleine »
  • Le « O » caractéristique de la plainte élégiaque revient plusieurs fois : « O mes amis », « O sanglante mer »
  1. La fuite du temps et les chers disparus
  • Venant s’ajouter au champ lexical de la nostalgie et du souvenir, de nombreuses interrogations oratoires soulignent la plainte face à la fuite du temps  et à la disparition des êtres aimés : « où êtes-vous ô jeunes filles… ? » qui rappelle la « Ballade des Dames du temps jadis » de Villon (où sont les dames du temps jadis et les neiges d’antan ? nulle part, disparues) ; anaphore de « Où sont… ? » puis « où est… ? » s’agissant des amis du poète, qui rappelle « La complainte » de Rutebeuf (« Que sont mes amis devenus », ils ont été emportés) ; la disposition centrale du « ? » souligne fortement la vanité des choses humaines et la douleur de l’absence.
  • Les amours perdues (« chères lèvres ») sont évoquées dans le premier dessin, en liaison avec la colombe : l’univers intime du poète déployé avec la litanie des prénoms féminins, dont l’importance est soulignée par les majuscules, que les ressemblances sonores (m, i, eye/yette, remarquer la douceur de certaines syllabes « ma », « mia » rappelant les « douces figures ») rapprochent au point de ne sembler qu’une femme jusqu’à « et toi » qui met plus particulièrement en valeur le prénom de Marie Laurencin, artiste-peintre et grand amour d’Apollinaire, après son amour malheureux pour Annie Playden ; ces deux noms sont rapprochés et disposés comme une plaie plus profonde sous le poignard.
  • La disparition des amis masculins dispersés évoqués à travers leurs noms auxquels s’ajoutent parfois les prénoms ne montre pas une aussi grande intimité. Mais la douleur liée à leur départ à la guerre transparaît dans la répétition de « partis » et dans l’antithèse entre « naguère » et « maintenant »
  1. La guerre et la mort
  • Après la vie en temps de paix rappelée par la colombe et les amours passées, c’est l’irruption de la guerre qui justifie la douleur du poète. Champ lexical de la guerre : « guerre » x2, « se battent », « sanglante », « saigne », « guerrière », l’image du sang finale venant faire écho au poignard.  Aucune description de la guerre, mais une atmosphère froide (« nord », certainement bataille de la Somme) et grise (« gris »), sombre avec la tombée du soir.
  • La mort apparaît de plus en plus nettement : à peine suggérée par « vos regards en l’eau dormant » [=dormant dans l’eau] image qui pourrait suggérer un reflet dans l’eau mais qui prend toute sa violence au vers suivant où ces regards « meurent ». Le champ lexical de la mort est très présent sous différentes formes : « meurent », « morts », « église » associée à des noms qui semblent se teinter de douleur (« se mélancolisent ») et disparaître. Triple sens que prend le mot « tombe » : le soir qui tombe (=la fin du jour, de la lumière, de la vie) évoque la mort, ainsi que le mot lui-même qui fait penser à une tombe ou à un tombeau puisqu’il est accolé à « O » et se lit « tombeau ».

L’ensemble prend le sens d’une méditation élégiaque lorsque l’on arrive  à la fin du calligramme car les présents d’énonciation semblaient figés dans le temps : la description donnait une impression de vérité éternelle. Mais l’écoulement du temps est réintroduit avec l’arrivée du « soir [qui] tombe » ; on a le sentiment que le poète méditait à la fin du jour.

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