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Filmer un acteur, est-ce lui donner une voix ? (introduction + plan détaillé)

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Par   •  9 Décembre 2022  •  Dissertation  •  2 507 Mots (11 Pages)  •  223 Vues

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Filmer un acteur, est-ce lui donner une voix ?

        En 1946, Marcel Blistène met en scène l’histoire de Madeleine, une Étoile sans lumière puisque sa sublime voix sera utilisée en post-synchronisation pour doubler une grande vedette du cinéma muet sans même qu’elle soit citée au générique. Lors de l’enregistrement de la chanson, l’ingénieur du son est subjugué par la performance originale de la jeune héroïne : « c’est pas tellement la chanson, je la connais, mais c'est la voix, que c’est beau ! ». Ainsi retire-t-on à l’actrice (celle qui est filmée) sa voix pour lui en donner une autre (celle qui n’est pas filmée, mais enregistrée). Mais avant même qu’elle l’ait donné à l’actrice, la doubleuse a l’impression que sa voix lui est volée par la caméra sonore : « c’est comme si on me prenait quelque chose à moi ». C’est là toute la duplicité du cinéma. À la fois donneur et voleur de voix, le film est le lieu où l’acteur accomplit son être (interpréter, donner sa voix) alors même qu’il se l’approprie (apparaître, voler sa voix). Autrement dit, c’est par le fait même de lui voler sa voix (filmer) que le medium cinématographique la donne à l’acteur (vocaliser). Alors filmer un acteur, est-ce lui donner une voix ? Pour répondre à la question, il est nécessaire de distinguer plusieurs sens de « donner une voix ». Car littéralement, le cinéma ne « donne » pas une voix à un acteur ; ou bien il en a déjà une, ou bien il n’en a pas et le montage en rajoute une autre. Il faut donc comprendre que filmer un acteur, c’est lui accorder la possibilité de faire usage de sa voix. C’est accueillir la voix d’un acteur que de le filmer quand il parle. Or, l’acteur n’est acteur que si sa voix se destine à être une autre voix (celle du personnage). Si au contraire filmer un acteur, c’était lui donner sa voix, alors il ne jouerait pas un rôle, et n’agirait pas comme acteur ; d’où l’idée que ce serait plutôt lui donner une voix que de le filmer. On comprend alors en quel autre sens le film « donne une voix » à l’acteur, à savoir qu’elle lui en attribue une (qui correspond donc à son rôle). Ce « don de la voix » est  psychologique dans la mesure où il repose sur une illusion narrative qui donne une existence au personnage. En ce sens, c’est plutôt l’acteur lui-même qui donne une voix, par le truchement du film. Cependant, le montage peut donner la sensation au spectateur qu’il offre une voix à un acteur, comme dans l’exemple susnommé. Enfin, le dénommé « art des masses » a vocation de porter une voix au sens hugolien du porte-parole : « Le peuple est un silence. Je serai l'immense avocat de ce silence. Je parlerai pour les muets. » (Gwynplaine dans L’Homme qui rit). Il y a donc différentes manières de comprendre l’expression « donner une voix » à un acteur, auxquelles correspondent différentes portées : pratique (accueillir), narrative (attribuer), audio-visuelle (offrir) et éthico-politique (porter). Et s’il est évident que « filmer un acteur » et « lui donner une voix » ne sont pas deux actions identiques, il convient également de se demander s’il existe une simple relation de dépendance (A implique B), ou d’interdépendance (A ne va pas sans B, et inversement). Par conséquent, il faudra déterminer le lien qui existe entre la notion d’« acteur » et celle de « voix » dans un film. Comment est-il possible qu’un film muet ne donne pas de voix à un acteur, alors même que son être semble impliquer une expression vocale ? Si le principe paradoxal de l’acteur est de recevoir une voix par le film pour qu’elle soit volée par le personnage qu’il interprète (I), c’est parce que la voix est essentiellement liée avec la notion d’acteur, quoiqu’elle n’en fasse pas sa spécificité au cinéma (II). Néanmoins, filmer un acteur sans jamais lui donner une voix s’avère impossible, car le spectateur pourra toujours en imaginer une (III).

I – Le paradoxe de la voix de l’acteur : filmer un acteur, dans quelle mesure est-ce lui donner une voix autre que la sienne ?

a) filmer un acteur, c’est lui donner une voix

arg : être acteur, c’est donner sa voix, faire entendre une voix qui n’est pas la sienne, mais celle d’un personnage ; tout est donc fait au cinéma pour donner une autre voix à l’acteur

texte[1] : Pierre Larthomas, Le langage dramatique, 1972 : « le grand comédien a souvent à sa disposition des timbres de voix artificiels qui permettent toutes sortes d'effets » ; chaque film, voire chaque scène, donne une voix différente à l’acteur ; filmer un acteur, c’est même lui donner des voix (cf. Scapin et la situation acousmatique de son maître)

ex : l’acteur du cinéma muet a une voix par bonimenteur ; Sacha Guitry fait l’inverse dans Le Roman d’un Tricheur (1936) et James McAvoy dans Split (2016)

b) les limites de l’illusion : filmer un acteur, c’est lui donner sa voix (ou la stigmatiser)

arg : même si par essence filmer un acteur, c’est occulter sa voix pour lui en donner une (celle du personnage, le spectateur ne fait jamais pleinement abstraction de la voix d’un acteur

texte : Marmontel, article « Illusion », Éléments de littérature (1787) : « il est impossible de faire pleinement abstraction du lieu réel de la représentation » (à savoir la salle de cinéma) ; « la preuve qu’on n’oublie jamais l’acteur dans le personnage qu’il représente, c’est que dans l’instant même où l’on est le plus ému, on s’écrie : Ah ! Que c’est bien joué. On sait donc que ce n’est qu’un jeu : on n’applaudirait point [le personnage], c’est donc [l’acteur] qu’on applaudit. »

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