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Baudelaire, Les Fleurs du mal, « A une passante »

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Par   •  18 Septembre 2021  •  Cours  •  3 479 Mots (14 Pages)  •  385 Vues

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CL 12 – Baudelaire, Les Fleurs du mal, « A une passante »

La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son œil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair… puis la nuit ! — Fugitive beauté
Dont le regard m’a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ?


Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais !


« Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or » lance le poète à la ville (dans son « Ebauche d’épilogue pour la deuxième édition des Fleurs du mal », 1861). Dans les « Tableaux parisiens », deuxième section du recueil, le poète semble évoluer dans la ville comme un passant en quête d’imprévu et de bizarre. Il dépeint Paris dans son quotidien et sa banalité, sans masquer sa réalité triviale. A l’image du soleil qui en déployant ses rayons transforme l’espace, l’écriture poétique opère sur la ville une métamorphose (cf. « Le soleil », deuxième poème de la section). Le poète semble rechercher dans l’espace de la ville des symboles, or il en découvre un lorsqu’il croise le chemin d’une femme dans ce poème dédié à une passante. Poème situé entre deux autres symboles, celui des « aveugles » (les aveugles au milieu desquels évoluent le poète sont allégoriques, ils représentent les hommes en attente d’une réponse qu’ils ne pourront pas lire, ce poème souligne la solitude du poète parmi les hommes) et celui du « squelette laboureur » (où l’on devine le poète se promenant sur les quais des bouquinistes, découvrant de vieilles planches d’anatomie dans lesquelles il découvre le  symbole effrayant et bizarre d’un squelette qui laboure la terre, memento mori moderne car plus qu’un rappel de notre mortalité, il annonce que la mort conçue comme repos ne serait qu’un mensonge). Dans « A une passante », le poète semble connaître un instant de grâce : au milieu du tumulte de la rue surgit une apparition, une femme mystérieuse, que le poète ne peut que croiser. De cette rencontre tragique qui n’aura jamais lieu naît un poème.

Pbq : en quoi l’écriture poétique, dotée de pouvoirs alchimiques, cherche-t-elle à extraire l’éternité de l’instant ?

Plan : I. Une rencontre dans la ville (v. 1 à 5), II. Le poète amoureux (v. 6 à 8), III. La disparition de la passante (v. 9 à 14)

I. Une rencontre dans la ville (vers 1 à 5)

La rue, v. 1 : premiers mots du vers, le choix de ce cadre urbain, peu poétique selon la tradition, annonce la modernité du texte. Loin de se dérouler dans un cadre plaisant, la rencontre a lieu dans un milieu hostile : le poète se trouve au milieu du vers, entre le sujet et le verbe, comme au milieu de la rue. C’est elle qui occupe la place du sujet dans la phrase alors que le « je » du poète est passif et semble perdu dans cet espace inhospitalier. Ce premier vers souligne sa solitude, car la métonymie (la rue qui hurle) efface toute présence humaine. Il apparaît également comme un étranger dans ce premier vers, peut-être à cause de l’absence d’harmonie qui caractérise la rue : les deux hiatus (« rue assourdissante… moi hurlait ») reproduisent la cacophonie ambiante, accentuée par deux hyperboles (« assourdissante » et « hurlait ») et l’allitération en « r ».

Une apparition, v. 2 à 5 : ce sonnet relate un coup de foudre. Au vers 2 apparaît alors la femme, seul autre personnage qui se distingue de la foule que l’on imagine dans cette rue bruyante. Cet effacement du cadre peut correspondre au topos romanesque de la rencontre amoureuse : le poète ébloui ne voit que cette femme. Mais femme et poète sont séparés par la syntaxe, dans deux phrases distinctes. L’entrée en scène de la passante est mise en attente au vers 2 par une accumulation de quatre appositions. Son apparition correspond à un retour à l’harmonie : le rythme de ce deuxième vers suggère un balancement, peut-être celui de la passante qui est en train de marcher. Ce balancement sera présent jusqu’à la fin de la phrase au vers 5. En effet, un rythme binaire est instauré par un couple d’adjectifs (« Longue, mince ») esquissant une silhouette élancée. Les deux voyelles nasalisées (« on, « in ») créent un effet de sourdine et atténuent le tapage de la rue. Puis deux GN liés par un chiasme (« en grand deuil, douleur majestueuse ») insistent sur la noblesse de la passante, comme le suggère le rythme de ce vers qui est de plus en plus ample (« longue, mince » = 2+1 syllabes puis « en grand deuil, douleur majestueuse » = 3+6 syllabes). La beauté étrange de cette femme évoque une fleur du mal, car ce vers et surtout le chiasme associent beauté et douleur.

La femme « passa », v. 3 : le passé simple tranche avec l’imparfait du premier vers et place la passante au premier plan. Le polyptote (« passa », « passante ») associe cette femme à celle annoncée par le titre et accentue son caractère fugace. Elle s’oppose à la vulgarité de la rue, comme l’indique l’adj « fastueuse » à la rime avec « majestueuse ». Sa « main » est le premier élément précis que l’on distingue de cette passante, après nous avoir offert un aperçu de sa silhouette, du balancement et du rythme de son pas au vers précédent. On peut alors penser à un blason moderne : le regard du poète s’arrêtera sur trois éléments de son corps (la main, la jambe et l’œil) pour en faire l’éloge. (blason : type de poème très à la mode au XVIe siècle, qui fait l’éloge de la femme aimée en décrivant une ou plusieurs parties de son anatomie – front, yeux, cheveux…)

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