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Scène d'exposition choquante

Commentaire d'oeuvre : Scène d'exposition choquante. Recherche parmi 299 000+ dissertations

Par   •  25 Juin 2014  •  Commentaire d'oeuvre  •  2 029 Mots (9 Pages)  •  974 Vues

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Alfred Jarry compose à quinze ans Ubu Roi, pièce écrite à l'origine pour des marionnettes et représentée ainsi en 1888, avant d'être jouée en 1896 par la troupe de Lugné-Poe au théâtre de l’Oeuvre où elle est souvent chahutée. La pièce est publiée la même année. La dédicace (le Père Ubu hoscha la poire, dont fut depuis dénommé par les Anglois Shakespeare) confond Ubu avec le dramaturge anglais, donnant le ton de l'oeuvre, baroque, bouffonne et satirique par les personnages et les thèmes qu'elle présente. À l'origine d'Ubu, existe, écrite par des générations successives d'élèves du lycée de Rennes, une geste évoquant les exploits d'un héros en quête de méfaits. Nommé entre autres " le P. H. ", " Père Héb. ", etc., le personnage est la caricature d'un professeur de physique, Félix Hébert, constamment chahuté. Lorsqu'il arrive au lycée en 1888, Jarry transformera ces récits en véritable pièce, initialement intitulée Les Polonais. Ubu Roi forme la première pièce d'une trilogie comprenant Ubu enchaîné et Ubu cocu, mais ces deux pièces n'ont pas la force de la première.

La présence dès la 1re scène d'Ubu Roi des deux personnages principaux, Mère Ubu et Père Ubu, introduit le spectateur in medias res, dans une conversation qui commence et se poursuit en brèves répliques alternées, créant une dynamique. Le merdre provocateur qui ouvre la pièce donne le ton, et vise à produire impression sur le spectateur. Mais la scène n'est pas gratuite sur le plan dramatique, puisqu'elle comprend les principaux éléments d'une exposition.

I. Une scène d’exposition choquante

Le caractère inattendu et provocateur du langage est sensible à travers la grossièreté, le mélange des registres, le décalage entre le statut des personnages et le registre de langage qu’ils emploient. Le lecteur peut en être choqué.

La grossièreté : reprise de certains termes, dérivés de mots vulgaires. Merdre ouvre et ferme la scène (Ubu puis Mère Ubu, à deux reprises). Quatre occurrences, redoublement souligné par le chiasme[1] et la présence de bougre. En tout, sept reprises du mot merdre. Plus : vrout qui le précède dans la dernière réplique de Mère Ubu. Cette vulgarité est présente aussi dans le lexique plus traditionnel : fiole , cul (repris), dur à la détente. D'autres jurons émaillent le passage: Ventrebleu , et l'expression de par ma chandelle verte, constante chez Ubu, et dans laquelle on peut voir une référence au phallus. Ces deux jurons frappent par leur archaïsme. Le terme Ventrebleu et la construction de par (de par ma chandelle verte) font référence au langage du XVI e siècle.

Le mélange des genres : la présence d'archaïsmes soutenus VS termes familiers ou courants. Sur le plan lexical, la reprise de l’archaïsme vous estes, l'adverbe intensif fort, le nom estafiers, l'expression vous me faites injure è langue classique. La proximité de termes familiers dans les derniers cas (voyou, coupe-choux, passer... par la casserole, manger... de l'andouille) crée un décalage qui se retrouve syntaxiquement. Les constructions anciennes et/ou soutenues sont accompagnées d'un lexique courant. Ainsi, Que ne... (très soutenu), suivi du verbe assom’je, (assommer, registre courant, et terme souligné par l'inhabituelle élision). Les termes coupe-choux et fiole sont inattendus.

èCes mélanges tendent à disloquer et à ridiculiser le " beau style ". En cela, cette écriture procède d'une volonté délibérée de provocation, que l'on retrouve dans le décalage entre la situation des personnages et leur langage.

Un langage inadapté: Ubu et Mère Ubu ont été roi et reine. Ubu reste un personnage important, comme le souligne l'énumération de ses titres et décorations. On attend donc chez eux un langage en phase avec cette position sociale, or les ruptures sont constantes. Ces ruptures sont sensibles dans la façon dont les personnages s'adressent l'un à l'autre. Le madame d'une pièce classique est employé une seule fois ; l'apostrophe habituelle est Mère Ubu qui fait écho à Père Ubu, ce qui connote un milieu social inférieur. Parallèlement, le passage du vous au tu a la même fonction. Les relations entre les deux personnages semblent alors très familières: les termes passer... par la casserole, raccommoderait tes fonds de culotte, manger... de l'andouille évoquent le ménage plus que les palais.

Passé le premier mot du texte, évidemment provocateur, on peut se demander si la scène d’exposition respectera au moins son rôle : délivrer des renseignements essentiels sur le lieu, l’époque, et l’intrigue de la pièce.

II. Des informations grotesques

Les données habituelles de la scène d'exposition, cadre, situation initiale et suspense dramatique, personnages sont présentes ici, mais exposées de façon grotesque.

Le lieu: les termes Venceslas , Aigle Rouge de Pologne, Pologne (L 13, 49), situent l'action dans une Pologne de fantaisie (l’Aigle Rouge est une décoration prussienne et non polonaise, Venceslas est le nom de deux rois de Bohême ayant régné en Pologne au XIV e siècle). Les indications spatio- temporelles sont donc volontairement confuses, ce qui crée un effet de décalage par rapport à une pièce classique.

L’Intrigue : les interrogations de Mère Ubu vous estes content de votre sort ? et vous pourriez faire succéder... ? suggèrent un manque, un problème, que précisent les répliques suivantes. L'interrogative Qui t'empêche de massacrer... ? , les mots installer sur un trône , Tu pourrais augmenter, Tu pourrais...te procurer , font référence à une prise de pouvoir possible. À partir de ces éléments, le suspense est renforcé par la réaction de Père Ubu et de Mère Ubu. La didascalie Il s'en va , semble refermer toute ouverture, mais les termes de la dernière réplique (ébranlé, peut-être... serai-je) ouvrent de nouveau le champ des possibles ; de plus, la précision dans huit jours implique une urgence qui doit accélérer l'action. Ce thème du complot pour la prise de pouvoir, fréquent au théâtre, par exemple chez Shakespeare (cette page est clairement une parodie de Macbeth[2]), et qui définit ici la situation, est traité de façon dérisoire. En effet, la seconde partie de la scène insiste

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