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Jean Reboul ' Sarrasine Ou La Castration Personnifiée

Note de Recherches : Jean Reboul ' Sarrasine Ou La Castration Personnifiée. Recherche parmi 299 000+ dissertations

Par   •  6 Janvier 2014  •  2 392 Mots (10 Pages)  •  1 406 Vues

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Qu’on cherche mon page Honoré,

Qu’on le mette en quatre quartiers

Commère, il faut chauffer le lit;

N’entends-tu pas sonner minuit?

Chanson anonyme.

Mais une heure stérile a sonné: le cheval

Et le boeuf ont bridé leurs ardeurs, et personne

N’osera plus dresser son orgueil génital

Dans les bosquets où grouille une enfance bouffonne

A. Rimbaud (‘Les Stupra’).

En novembre 1830, un an après la mort de son père, Balzac, qui a 31 ans, écrit la 3ème nouvelle du tome II des Scènes de la vie parisienne, Sarrasine1 - une trentaine de feuillets glissés comme un signet (ou un signal) entre les mastodontes de la Comédie humaine. (Rien de plus ‘réduit’ , dans l’oeuvre - même La femme abandonnée, qui ravissait Marcel Proust). Le récit est rédigé en première personne, ce qui en souligne le ton personnel et confidentiel. Il comporte un prologue, un récit et un épilogue. Son caractère onirique frapperait le moins averti; il ne tient que peu aux prestiges, cependant très perceptibles, du roman noir qui satura l’époque et qui, paradoxalement, amortissent [92] ici l’angoisse sous leur poncif exténué; bien davantage à la permanente érosion du contenu explicite par le contenu latent d’où l’amour et la mort, échangeant leurs insignes et leurs pouvoirs, n’émergent l’un de l’autre disjoints que pour se résorber aussitôt dans l’énigme qui les noue.

Le narrateur se trouve, accompagné d’une dame, au bal des Lanty, de riches banquiers dont Paris ne sait rien, sinon leur fabuleuse richesse. Il est minuit, comme aux premiers accords d’‘Igitur’ (“le minuit où doivent être jetés les dés”). Le narrateur s’efforce de nous communiquer le sentiment de dissociation qu’il éprouve, qui est le thème de la nouvelle et qui ne sera éclairci que par le dévoilement progressif de la situation. “Assis dans l’embrasure d’une fenêtre et caché sous les plis onduleux d’un rideau de moire, je pouvais contempler à mon aise le jardin de l’hôtel où je passais la soirée. Les arbres imparfaitement couverts de neige se détachaient faiblement du fond grisâtre que formait un ciel nuageux, à peine blanchi par la lune. Vus au sein de cette atmosphère fantastique, ils ressemblaient vaguement à des spectres mal enveloppés de leurs linceuls, image gigantesque de la fameuse danse des morts.”

Partagé entre ce paysage d’arbres spectraux derrière la vitre, éclairés dans la neige par la lune et la tiède splendeur des salons où il se retrouve en se retournant, le conteur n’hésite point à se situer là comme entre la vie et la mort; et la banalité de l’antithèse romantique se réactive dans le prosaïsme d’une sensation physique qui sectionne en son corps notre dandy, après ce morcellement d’âme: “Du pied gauche je marquais la mesure, et je croyais avoir l’autre dans un cercueil. Ma jambe était en effet glacée par un de ces vents coulis qui vous gèlent une moitié du corps tandis que l’autre éprouve la chaleur moite des salons, accident assez fréquent au bal.”

Mais le thème s’enfle brusquement jusqu’à évoquer à propos de l’hôtesse, la comtesse de Lanty, l’image d’une mutilation précise: “Pour ces sortes de femmes, un homme doit savoir, comme Monsieur de Jaucourt, ne pas crier quand, en se cachant au fond d’un cabinet, la femme de chambre lui brise deux doigts dans la jointure d’une porte.”

Ces préparations savamment graduées ne servent qu’à introduire sous les lambris dorés le monstre dont la description fantastique n’exigera pas moins d’une dizaine de pages. “C’était un homme”, nous est-il déclaré, la suite s’évertuant à nous persuader du contraire et ne visant en cela qu’à nous égarer sur les vraies dimensions du leurre, jusqu’à ce que tombent enfin les masques.

L’être en question laisse un sillage de froid sur les épaules des danseuses qu’il frôle. C’est un vieillard, mais qui évoque à la fois le vampire, la goule et l’homme artificiel. Certains vont jusqu’à le [93] tenir pour Cagliostro, d’autres pour le Comte de Saint-Germain, qui passent, comme chacun sait, pour immortels. Il est le mystère insondable de cette famille de Lanty, ne se manifestant qu’ “aux équinoxes et aux solstices”, ce qui semble lui conférer la fatale périodicité de quelque astre maléfique, une Lune Noire du faubourg St-Germain. Assassin, banqueroutier, esprit? Les invités s’interrogent. Ses mouvements ont la “lourdeur froide” et la “stupide indécision qui caractérise les gestes d’un paralytique”. Serait-ce la statue du Commandeur, quelque Nosferatu ou notre Belphégor télévisé? Ses yeux glauques, sans chaleur, ne peuvent se comparer qu’à de la nacre ternie. “Créature sans nom dans le langage humain, forme sans substance, être sans vie ou vie sans action”, ses petites jambes sont “deux os mis en croix sur une tombe”.

Ce squelette illuminé de diamants et paré de dentelles surannées, d’une coquetterie féminine et funèbre, sent le cimetière, la Jézabel et - pour tout dire - la mort. Ainsi glisse-t-il sur ses pieds débiles comme une allégorie pétrifiante mêlée à la volupté des danses, des parfums, du luxe et de l’or, jusqu’à ce que vienne l’escamoter par une porte dérobée la radieuse fille de la maison, sur laquelle, avant de disparaître, il secoue, comme un palmier ses dattes, des joyaux dont elle recueille l’un en son giron.

Le narrateur a avoué à sa compagne, bouleversée par cette vision d’Outre-tombe, qu’il connait l’histoire de l’horrible homme des soirées et s’engage à la lui conter chez elle, le lendemain. Fin du prologue.

Or le récit qui suit semble n’avoir aucun rapport avec les événements de la veille et concerner un nouveau personnage: le sculpteur Sarrasine, dont le patronyme à désinence féminine évoque un Islam de turquerie, bien qu’il fût de sang bisontin. Nous apprenons la turbulence de ses années de collège et que, dans ses rixes d’adolescent, lorsqu’il était le plus faible, il mordait. Maudit de son père pour ses extravagances impies, il trouve asile à Paris dans l’atelier de Bouchardon, y manifeste son génie naissant et y récupère la faveur paternelle grâce à l’entremise de son maître. Ce dernier “étouffe son énergie sous des

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