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Je Suis Comme... Baudelaire

Mémoire : Je Suis Comme... Baudelaire. Recherche parmi 299 000+ dissertations

Par   •  30 Mai 2013  •  2 086 Mots (9 Pages)  •  1 407 Vues

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Ce poème est le troisième des quatre poèmes du recueil ‘’Les fleurs du mal’’ titrés ‘’Spleen’’, faisant partie de la section intitulée ‘’Spleen et idéal’’. «Spleen» est un mot anglais signifiant proprement «rate» (car cet organe du corps était considéré comme le siège des «humeurs noires»), désignant une mélancolie sans cause apparente, entraînant le dégoût de toute chose, la perte de tout espoir, un dévastateur sentiment d'infini et incurable ennui, un état de torpeur stérile, d'angoisse morbide, de dépossession de soi-même.

Baudelaire en souffrit toute sa vie, mais il décrivit spécialement son état dans cette lettre à sa mère de 1857 : «Ce que je sens, c'est un immense découragement, une sensation d'isolement insupportable, une peur perpétuelle d'un malheur vague, une défiance complète de ses forces, une absence totale de désirs, une impossibilité de trouver un amusement quelconque [...] Je me demande sans cesse : À quoi bon ceci? à quoi bon cela? C'est le véritable esprit de spleen.»

On peut penser que ce poème lui a été directement inspiré par la lecture du ‘’Roi solitaire’’ de Théophile Gautier, poème qui avait paru dans ’’La revue des deux mondes’’, le 15 novembre 1841. Ce roi cristallise toutes les envies par son pouvoir, mais, blasé de tous les plaisirs, vit «cloîtré dans [son] âme profonde», et, dans les derniers vers du poème, déclare : «Je puis tout faire et je n'ai plus d'envie. Ah ! si j'avais seulement un désir ! Si je sentais la chaleur de la vie !»

Il avait pu lire aussi ‘’Le magicien’’ d’Esquiros, qui fut publié en 1838. On y voit Charles IX enfoncé dans l’ennui, et que la reine et les courtisans s'efforcent en vain de distraire. Dans sa bouche, il ne sent qu'une «éponge aride», qu'une «cendre amère». Il méprise les femmes, les jeux, la chasse. Il a vingt-trois ans, et il est déjà un vieillard.

Le poème n’est qu’une suite de dix-huit alexandrins aux rimes plates, l’abandon de toute forme fixe contribuant à lui donner une dimension linéaire.

Par «Je suis comme le roi», Baudelaire, sur un ton péremptoire, avec assurance, par des monosyllabes martelés, met d’abord en avant son «moi». Mais il l’efface aussitôt pour laisser la place à une comparaison, un tableau du «roi», qu’il va développer sans aucune allusion à sa vie à lui, mais aussi sans plus un seul outil de comparaison, la suite du poème tendant donc à faire oublier cette comparaison qui est la figure de la dépossession du «moi», qui n’existe donc que dans ses projections imaginaires.

Se donnant un statut mythique, un alter ego spectaculaire, un répondant allégorique, travestissant son déclassement social dans une condition supérieure (qui est comme une hyperbole), muant son mal-être en image esthétique, Baudelaire se compare au «roi d'un pays pluvieux», qui demeure indéfini, la diérèse «vi-eux» qu’il faut faire pour que le vers ait bien ses douze pieds, ainsi que l’allitération en «p» et l’assonance en «i», marquant toutefois une insistance sur l’effet qu’a sur le tempérament un climat froid et désagréable, une ambiance triste, monotone et propice à l'ennui, ambiance qu’on trouve aussi dans le ‘’Spleen’’ suivant où on lit : «Quand la pluie étalant ses immenses traînées / D’une vaste prison imite les barreaux». Le second hémistiche vient infirmer la prestance du premier.

Ce roi est, au vers 2, défini comme un être hétérogène, dissonant, contradictoire, par des adjectifs en associations antithétiques, allant du positif vers le négatif : «Riche, mais impuissant» (le «moi» social est opposé au «moi» subjectif) ; «jeune et pourtant très vieux» (le «moi» biologique est opposé au «moi» intérieur), comme si sa race affaiblie avait fait de lui un être émasculé en proie à un mal secret, à une vide morosité.

Au vers 3, qui est construit sur une inversion, est indiquée l’indépendance prise par le roi à l’égard de ses «précepteurs», des maîtres qu’il eut dès l’enfance, dont sont rejetés non seulement l’enseignement mais aussi l'obséquiosité, car il est indifférent à l'étiquette de la cour, comme en exil dans son palais. Voilà qu’il est inscrit dans une scénographie où différents personnages illustrent son rapport à autrui.

Au début du vers 4, ce qui lui donne du retentisement, l’action du roi est enfin indiquée. Toutefois, le verbe «s’ennuie» est en fait un déni de l’action. Et cet énorme ennui fait que, s’il est dégoûté des relations avec les humains (peut-être désignés par «autres bêtes»), il ne trouve pas plus de réconfort dans la compagnie d’animaux familiers.

Au vers 5, retentit la formulation catégorique : «Rien ne peut l'égayer» (or, comme le remarqua Pascal dans ses ‘’Pensées’’ : «Un roi sans divertissement est un homme plein de misère»), et commencent les négations réitérées, «ni», «ni», «ni», «ne […] plus» (cette dernière formulation indiquant que l'ennui n’est apparu qu’à un certain moment au cours de sa vie) qui martèlent l’idée qu’aucun des divertissements royaux ne distrait le roi :

- Ni la chasse, loisir préféré des rois de France, implicité dans «ni gibier, ni faucon», ce dernier mot faisant du personnage un roi médiéval.

- Ni, pour «ce cruel malade» (mot fort placé à la fin du vers 8, expression qui pourrait être une hypallage [ce ne serait pas lui qui est cruel mais la maladie]), la misère qui fait mourir son peuple, sinon le spectacle d’un massacre (le vers 6 pourrait désigner la Saint-Barthélemy, et venir confirmer l’hypothèse d’une inspiration trouvée par Baudelaire dans ‘’Le magicien’’ d’Esquiros) qui ferait de lui un nouveau Néron.

- Ni le bouffon (vers 7, qui est construit sur une inversion, et vers 8 où est ménagée une inversion créant une surprise) qui le distrayait auparavant, cet amuseur (souvent évoqué dans ‘’Les fleurs du mal’’ où il est une image du poète), qui forme avec ce jeune roi moribond un couple-contraste, étant désormais inefficace. Cependant, «grotesque ballade» pourrait n’être pas négatif car, si, d’une part, «grotesque» signifierait «ridicule», suggèrerait la mort de la poésie, d’autre part, il désignait pour Baudelaire une notion «moderne» qu’il revendiquait, qu’il appelait aussi le «comique absolu», parce que, tout en montrant à l’humain sa propre laideur physique et morale, elle recèlerait un élément insaisissable du beau.

- Ni les plaisirs charnels (vers 9 à 12), ce roi de France (son lit est «fleurdelisé», orné

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