Synthèse - Le détour, la ruse

« Préférez toujours la finesse à la force, et la ruse à la violence. » Avec cette citation Rémy de Gourmont souligne que la ruse est à privilégier face à la force, à la violence. Aussi à l’appui de deux essais, d’un article et d’une fable, les auteurs se demandent en quoi la ruse est ambivalente ?

Pour en juger, il convient d’étudier la ruse en tant qu’atout personnel, au rendez-vous du développement personnel mais aussi en tant qu’outil d’altération sociale, au service de la stabilité précaire de la société.

Dans un essai publié en 1985, Georges Balandier aborde le Détour, Pouvoir et modernité. Ce sociologue constate que la ruse fait partie de la nature humaine. Et de ce fait, elle a toujours été présente même depuis l’antiquité, elle est omni présente dans la mythologie grecque. A ce titre Jacques Attali va confirmer cela dans le texte Chemin de Sagesse tiré de son ouvrage paru en 1996 Traité du Labyrinthe. Cette forme d’intelligence qui ressemble plus à un 6ème sens, l’intuition, est la ruse dont il faut faire preuve si on veut s’enfuir du labyrinthe de Dédale. On fait ainsi écho à bon nombre de héros grecs qui se détachent de leurs semblables par la ruse dont ils font preuves, Ulysse n’est pas le plus fort mais le plus malin Thésée est celui qui a réussi à sortir du labyrinthe uniquement grâce à des manœuvres rusées et habiles. Ces héros grecs réussissent où les autres ont échoués en faisant preuve de cette forme d’intelligence qui comme le dit Balandier réunit un bon nombre d’aptitudes psychologiques et permet de se sortir des situations les plus complexes. Dans la cinquième fable Le Renard et le Bouc écrite par Jean de La Fontaine en 1668 dans le livre troisième intitulé Fables, l’auteur met en évidence le fait que sans ces facultés intellectuelles et sa ruse, le renard n’aurait pas pu sortir du trou. Et cette ruse le renard la doit à des années d’expérience, étant devenu le « maitre » en la matière. Attali évoque lui aussi le vécu et l’expérience comme renforçant l’intuition et avec la ruse. D’ailleurs Denis Boisseau écrit dans ce sens dans la « Revue de La licorne ». Son article Ne vaut pas le voyage publié en 2000, explique que l’homme choisit en s’appuyant sur son vécu. Ce dernier fait des détours pour faire des alternatives, pour réfléchir et ainsi ne pas reproduire ses erreurs passées. Et comme La Fontaine le fait comprendre, le renard a anticipé se servant de ses acquis pour analyser la situation et s’adapter. Il a réfléchi avant d’agir, avant de sauter dans le trou d’eau, il a pensé à comment il allait s’en sortir. Attali va conforter ceci car la ruse permet à l’homme d’être prêt pour chaque situation, en anticipant, il n’est jamais pris au dépourvu. Le rusé a toujours un coup d’avance et peut voir venir ses ennemis en cherchant à savoir ce qu’ils pensent.

C’est en cherchant à servir ses propres intérêts que la ruse devint objet d’altération sociale.

Pour Attali « Ruser n’est pas mentir » mais c’est utiliser des moyens détournés pour arriver à ses fins. Si le rusé est machiavélique, prêt à tout pour arriver à ses fins, il va altérer sa vie en société. Le Bouc de La Fontaine est naïf, simple d’esprit et le Renard en profite pour arriver à ses fins aux dépends du pauvre bougre. Le Renard manipule le Bouc et le Bouc n’aura plus jamais confiance. Balandier explique qu’une bonne ruse est insoupçonnable et convint facilement les Hommes, elle sert donc que les intérêts du rusé. Selon Boisseau, l’Homme est hédoniste et va profiter de tout, tout le temps et tout de suite. Et La Fontaine le complète en affirmant que l’Homme est égoïste à l’image du renard. La ruse mal utilisé peut servir à assouvir ses propres envies au dépend de la société, renforçant la stabilité précaire de la vie en société. Pour Balandier, celui qui triche est protégé par la ruse car celle-ci ne les discrédite pas. Selon Attali, ceux qui font preuves de ruse, punissent ceux qui mentent en rétablissant la vérité. Mais à quel prix ? Des milliers de personnes sont tués et leur ville est détruite au simple fait, qu’ils n’ont pas tenu leur promesse. Alors que Thésée va se servir des sentiments qu’Ariane éprouve pour lui pour sortir du labyrinthe mais ne va jamais honorer sa promesse. Le rusé franchit donc la fine ligne entre l’aide pour les autres et le machiavélisme dont il fait preuve pour obtenir ce qu’il veut d’une personne lui faisant confiance. Tromper et tricher se fait forcement au détriment de quelqu’un et va donc altérer les relations sociales entre les hommes.

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